Marc Vergier a traduit pour les lecteurs de JSF et nous publions ici ce qui nous semble un article de valeur sur les institutions US. Il est raisonnablement polémique, assez léger et très informatif. Nous y ajoutons les liens vers deux billets parus ce 25 septembre sur le site Aleteia. Avec la conjonction de deux élections majeures, à la Cour Suprême (SCOTUS, pour Supreme Court of the US) et à la présidence (POTUS, pour President of the US), ces articles offrent de bonnes bases pour une réflexion. Les questions institutionnelles ne peuvent qu’ intéresser nos lecteurs. Outre le pouvoir exécutif, et le pouvoir du peuple à travers l’expression électorale, l’exemple des Etats-Unis et de leur révérée SCOTUS nous rappellent l’importance du Droit, de la Loi, question sur laquelle les Français se contentent, pour la plupart, d’une réflexion superficielle.
Qu’ils aient pu, par exemple, adopter l’expression état de droit (écrite avec ses majuscules optionnelles et interchangeables) alors qu’elle n’appartient pas à notre tradition juridique, qu’elle est une traduction mécanique contestable de l’allemand, qu’elle est, donc, si peu claire à nos yeux qu’on la conforte, le plus souvent, pour se faire comprendre, par une expression plus familière sinon plus précise, (l’état de droit & la démocratie, par exemple), tout cela en est une illustration. Un exemple encore: le terme transparence (lui totalement incongru et ayant pourtant acquis droit d’officialité) fait lui aussi l’objet d’une utilisation comparable, en duo. Laurel et Hardy : un terme pour l’air du temps, la mode, un second pour la réalité.
Par Ryan Cooper
The week 24 septembre 2020
L’Allemagne est de nos jours, une puissance de premier plan, efficacement gouvernée.
Mais Il y a guère plus de 200 ans une confusion désordonnée régnait sur la plus grande partie de son territoire, lui-même hérité du Saint Empire Romain, lequel, était, à l’époque, reconnu comme un fossile politique. Avec plus d’un millénaire d’existence, cet Empire n’était qu’un rapiéçage de centaines de duchés, électorats, principautés, royaumes, terres d’église, etc. dont certains de quelques hectares de superficie (le Liechtenstein en est une relique), chapeautés par un écheveau d’institutions légales exceptionnellement compliqué et illogique. Anachronique, cette confédération était un fruit mûr pour un éventuel tyran .
Les Etats-Unis présentent une ressemblance dérangeante avec cet empire condamné. La Constitution Américaine est la plus ancienne encore en vigueur dans le monde mais, à l’évidence, elle est dépassée depuis plus d’un siècle. La moitié des mécanismes de base qui [nous] gouvernent relèvent de bricolages défectueux ou trahissent grossièrement ses principes fondateurs. Les Pays qui, à ce point, se refusent à évoluer risquent de périr.
Commençons par le Collège Electoral (NDT: système de grands électeurs) qui penche clairement en faveur des Républicains. Si Biden gagnait par 2 à 3 points de pourcentage du vote populaire, ce serait, dans ce système, un pile ou face*. Seul un avantage de 5 points garantit la victoire Comme je l’ai développé ailleurs*, c’est, parmi les systèmes de désignation du chef du gouvernement des pays riches – et peut-être du monde entier – le plus stupide. Deux fois déjà en deux décennies, il a donné la présidence au perdant. D’ailleurs, il permet – mécaniquement – de gagner tout en perdant le vote populaire par 4 à 1 !* De plus, attribuant [dans chaque Etat] toutes les voix au choix majoritaire, il polarise l’attention des candidats à la présidence sur les seuls Etats où le vote est équilibré. La grande majorité des Etats, petits ou grands, peuvent être quasiment ignorés par les candidats pendant la campagne, les décisions de leurs collèges pouvant être considérées comme acquises. Une fois élu, le Président peut ne pas se sentir responsable*… (et l’attitude de Trump sur le Coronavirus) des Etats qui ne l’ont pas désigné.
Michael Kazin l’a écrit* : le Collège Electoral était lourd et confus (NDT: une usine à gaz) dès son entrée en vigueur ; c’est pourquoi son abolition a été plusieurs fois évitée de peu (et est encore aujourd’hui à l’étude). Les Conservateurs aiment ce système qu’ils croient les avantager momentanément mais aucun de leurs arguments en sa faveur ne résiste à quelques secondes d’analyse.
Pis encore, le Collège Electoral n’est même pas tenu légalement d’appliquer les règles ci-dessus. Il est probablement constitutionnel pour le « corps législatif” (NDT: ils n’ont pas tous le même nom) d’un Etat d’ignorer les résultats du vote de novembre (NDT le mois traditionnel pour le scrutin populaire) et de désigner, pour le vote final, des grands électeurs tenus de voter pour le président que ce corps veut, quand bien même ces grands électeurs n’aient pas été proposés au suffrage populaire. Dans certains Etats, les grands électeurs peuvent prendre eux-mêmes ce genre de décisions.*
Comme fait exprès, la loi régissant le décompte des votes du Collège Electoral, vieille de 133 ans*est si obscure qu’elle est susceptible d’une demi-douzaine d’interprétations exclusives les unes des autres et n’a jamais été vraiment mise en cause.
Ce désordre est aggravé par un autre piteux aspect du gouvernement de l’Amérique : le charcutage des circonscriptions (NDT: de “gerrymandering”, souvenir d’un politicien nommé Gerry qui s’était découpé une circonscription à la silhouette de salamandre). Dans la plupart des Etats, il est aujourd’hui légal pour les membres des corps législatifs, de dessiner leurs circonscriptions, eux, ainsi, choisissant leurs électeurs plutôt que l’inverse. Aucune autre démocratie avancée* n’admet ce qui revient à un détournement de l’élection. De fait, les circonscriptions qui n’élisent qu’un seul représentant sont elles-mêmes obsolètes de plusieurs dizaines d’années. Par comparaison, les démocraties les plus accomplies fonctionnent par listes ou à la proportionnelle. Il est certain que dans plusieurs Etats les Républicains se sont découpés des circonscriptions quasiment imperdables. Dans le Wisconsin, en 2018, par exemple, Ils ont obtenu 64 % des sièges au parlement de l’Etat avec 46 % des voix*. Autrement dit, plusieurs de ces majorités dans les corps législatifs qui pourraient, potentiellement, voler l’élection au profit du President Trump sont elles-mêmes nées de tricheries flagrantes.
De son côté, le Sénat, est désigné par un système simple mais dont la structure est absurdement injuste puisque chaque Etat envoie deux sénateurs, quelle que soit sa population. En moyenne cela donne un avantage approximatif de 7 points aux Républicains* du fait que les Etats les moins peuplés votent plutôt pour eux. Ce système ne se fonde sur aucun grand principe. Quand la Constitution était en cours de rédaction, les petits Etats, ont obtenu cet avantage sur les plus gros pour prix de leur adhésion à l’Union. On pourrait, dans une manœuvre inverse, imaginer les Démocrates s’assurant une super-majorité permanente au Sénat en transplantant quelques centaines de milliers de démocrates convaincus de New-York ou de Californie dans les Etats sous-peuplés de l’Ouest.
Notre Déclaration fondatrice déclare, ainsi, “tous les hommes égaux” mais notre vieux tacot constitutionnel (salon 1787) autorise le vol de l’élection et, aléatoirement, confère, au Senat, plus de 70 fois plus de poids aux résidents d’un Etat par rapport à un autre.
Et ce n’est que le début du problème que pose notre machinerie politique. Voter s’avère compliqué et fastidieux dans de nombreux Etats. Queues interminables, tracasseries bureaucratiques ridicules. En Pennsylvanie, par exemple, en raison d’une loi vague et d’une décision judiciaire idiote*, les électeurs par correspondance sont tenus d’insérer leur bulletin de vote dans une double enveloppe, la secrète d’abord, puis la normale. 5 à 6 % des électeurs l’oublieront, comme d’habitude* et leur vote sera refusé.
On comprend pourquoi notre système de protection sociale et notre bureaucratie sont notoirement en retard de deux générations sur ceux des nations comparables. Notre système n’est pas conçu pour faciliter un gouvernement efficace et humain.
Le Saint Empire Romain disparut quand Napoléon, à la tête de la première armée nationale, dispersa, en 1805, à Austerlitz, la coalition qui s’opposait à lui. Une moitié environ de l’Empire fut regroupée dans une éphémère “Confédération du Rhin”, état fantoche soumis à la France, et François II, le dernier Empereur, abdiqua. Dans l’Ouest de l’Allemagne, Napoléon balaya toutes les scories féodales et les remplaça par son célèbre Code qui influença fortement la formation du droit allemand.
Il n’arrivera rien de tel aux USA et l’analogie est largement inadéquate. Généralement, il ressort de cette histoire que les systèmes politiques doivent être entretenus et régulièrement adaptés pour faire face aux évolutions historiques. De très nombreuses lacunes du tissu national américain ont été négligées pendant des décennies. Un parti conservateur de plus en plus radical profite maintenant de ces lacunes pour tenter de mettre la main de façon permanente sur notre république. Il pourrait bien réussir. ■
* Voir le lien proposé dans la version anglaise. Cliquez sur The week.
Lire aussi ….
Chez Aleteia
Sur l’élection à la Cour Suprême..
Sur le poids de l’électorat catholique…
https://fr.aleteia.org/2020/09/10/les-catholiques-electorat-clef-de-la-presidentielle-americaine/
On pourra se réjouir que la protestante Amérique conclue un débat par un Ave Maria à la Maison Blanche. Et on peut s’amuser de voir Trump et Ivana au garde-à-vous pendant l’Ave Maria. (Cf. La vidéo qui suit cet article.)
Traduction de Marc Vergier
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Article écrit par un démocrate, Or aux E.U. , le vote se fait Etat par Etat. Que BIDEN fasse 55 ou 65 % en Californie , New York, Illinois…ne changera RIEN. Idem si TRUMP ne fait que 52 au lieu de 60%. La constitution a été faite pour préserver chaque Etat, les petits comme les grands. Chaque Etat a 2 sénateurs.
Or sujet mais le fait m’avait plu lors de ma première visite en 1981 ( Sud) dans les Eglises Catholiques, on y trouve le drapeau américain et celui du Vatican.
Au fait en France nous avons un bon système électoral: avec 20%minimum le RN-FN n’a que 8 députés et peut-être un sénateur????????
Un article très intéressant : d’une part, la comparaison entre les USA et le Saint-Empire de jadis me paraît lumineuse (à ceci près que ce dernier n’était pas un Etat) ; d’autre part, ce texte confirme (sans le vouloir j’imagine) les analyses lumineuses de Maistre sur l’inanité des constitutions écrites, incapables de faire face aux nécessaires changements.
Petite note sur la traduction, le texte original dit « Holy Roman Empire », ce qu’il convient de rendre par « Saint-Empire » ou « Saint-Empire romain germanique », mais non en « Saint-Empire romain », une telle expression n’existant pas en français.
Merci à JSF de ce partage !