Par Philippe Mesnard.
On sent Macron contrarié. Les choses ne s’ordonnent pas selon ses souhaits.
Tenez, un exemple : il a donné trois mois aux Libanais pour s’entendre, eux qui se déchirent depuis quarante ans au moins, et ils ne se sont pas entendus. C’est mesquin, on ne fait pas ça au maître des horloges, quand même. Il leur a d’ailleurs dit : c’est votre faute, vous en portez « l’entière responsabilité ». Ah ça, cet échec-là, il ne va pas l’assumer ! Et pour une fois qu’on était venu le chercher, comme il engageait naguère les Français à le faire, eh bien, il regrette qu’on l’ait trouvé. Pour se consoler, le président de la République française est allé à Vilnius, signer avec la Lituanie et la Lettonie, ces deux grandes puissances, une « déclaration commune sur la protection des démocraties européennes contre les campagnes de désinformation et de manipulation des scrutins ». Quand on veut faire bondir la France dans le XXIe siècle, établir la souveraineté européenne et sauver le monde, il faut ce qu’il faut. Et pour bien montrer qu’il est bien le maître des horloges, le président Macron a touité pile à l’heure, le 26 septembre, « Il y a un an, le Président Chirac nous quittait. Jamais nous n’oublierons ses combats et ce qu’il a fait pour la France. » Voilà les paroles d’un chef qu’on écoute.
On sent les juges contrariés. On a nommé un histrion garde des Sceaux, ça les chagrine. Ils auraient préféré un juge, car ce sont des gens bien. Ce sont des gens qui savent la loi, et la savent mieux que ceux qui la font, et même mieux que ceux qui désirent d’autres lois. Du petit juge qui pardonne tout aux membres du Conseil constitutionnel qui inventent des interprétations inédites qui permettent de contredire la lettre de la loi et le sens même des institutions, ce sont des gens qui savent. Ils savent des choses qu’on ignore : par exemple, un magistrat de Dijon, ancien juge pour enfants, a été mis en examen cet été pour avoir proposé sa fille mineure sur Internet. Il est marié à une magistrate, qui trouvait que l’idée était bonne. Pour autant qu’on le sache, il est libre car cela ne relevait que du fantasme, selon l’enquête. Nicole Belloubet avait saisi le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour demander la suspension temporaire du juge. On attend la décision. En France, sous Macron, les juges peuvent décider de condamner en comparution immédiate des Gilets jaunes à de la prison ferme, sous les applaudissements du CSM, pour des faits si bénins que des repris de justice ne reçoivent qu’un rappel à l’ordre, ou réclamer de la pmasquerison pour des banderoles insultant Macron et des mannequins pendus, et les mêmes juges peuvent, en tant que caste, considérer qu’un magistrat pédophile, s’il ne s’en tient qu’à ses fantasmes, n’a pas besoin d’être relevé de ses fonctions, ses pairs prenant le temps de la réflexion et traitant ça entre gens bien, entre gens qui savent, entre gens qui n’ont pas besoin de parler à la presse des juges qu’on juge – mais on peut parler de tous les autres justiciables. Des gens qui savent même qu’ils n’ont pas à se soumettre à une enquête de l’Inspection générale de la Justice : « Dans un climat de dénigrement et de violences verbales proférées à l’encontre du PNF, je n’entends nullement participer à une inspection susceptible d’aboutir, d’une manière ou d’une autre, à la déstabilisation d’une institution républicaine qui a totalement rempli la mission que lui avait confiée le législateur » dit Éliane Houlette. Voilà : républicain, ça veut dire ne pas mettre de jupes courtes et refuser de se soumettre à la loi commune, même et surtout quand on a abusé de son pouvoir et bafoué les droits des citoyens.
On sent les progressistes contrariés, les ploucs ne veulent pas de la 5G. Ce sont des obscurantistes, comme ceux qui craignaient que le chemin de fer ne tue ses voyageurs. Sauf que l’histoire est fausse. On n’a jamais retrouvé un seul texte émanant d’une seule académie soutenant cette thèse. Ce sont les progressistes qui ont inventé cette fable. Les progressistes qui voulaient l’automobile et moquaient ses opposants (qui mettaient en avant les accidents infligés aux piétons), qui voulaient le gaz et niaient les explosions et la pollution. Les progressistes qui veulent toujours un jouet nouveau et ne s’interrogent jamais sur les conséquences de leur désir, eux qui aujourd’hui veulent supprimer l’automobile et le gaz, ne jurent que par Internet mais veulent diminuer la consommation d’énergie qu’Internet fait exploser. Et quelle est la promesse de la 5G ? L’Internet des Objets. Des millions d’appareils connectés, vitres et pots de fleurs, radiateurs et cafetières, dévorant goulument la bande passante pour réagir au millionième de seconde. C’est le progrès, on a le droit, on peut pas lutter.
Les Marseillais aussi sont contrariés, qui ne veulent pas vivre claustrés. Et les restaurateurs, qui ne veulent pas être ruinés. Et les journalistes de droite, qui aimeraient qu’on défende vraiment la liberté d’expression. Et les catholiques, qui se demandent pourquoi une juge catholique serait un danger pour la démocratie américaine. Mais ces contrariétés ne sont pas républicaines. ■
Article précédemment paru dans Politique magazine. Numéro d’octobre qui vient de paraître.
Un éditorial plein d’une ironie mordante, où tout est suggéré. Bravo!