Par Jean Sévillia.
En 1720, une épidémie de peste tua un habitant sur trois en Provence.
Un épisode dramatique qui n’est pas sans écho aujourd’hui.
Le 25 mai 1720, le Grand Saint-Antoine, un trois-mâts jaugeant 280 tonneaux, de retour du Levant avec une cargaison d’étoffes et de balles de coton, accoste à Marseille, qui est alors la deuxième ou troisième ville de France et l’un des principaux ports de la Méditerranée. Bien que la cité possède une organisation de la santé assez développée pour l’époque et des règles sanitaires strictes à l’intention des navires en provenance de pays où sévit la peste, les procédures de quarantaine ne sont pas suivies par le capitaine du Grand Saint-Antoine, qui est apparenté aux propriétaires du navire, des négociants marseillais. Or, dans sa cargaison déchargée à quai, le bateau, où sont survenus plusieurs décès pendant le voyage, transporte le bacille de la peste…
Le 20 juin, la maladie se déclare dans la ville. En juillet, le nombre de morts ne fait que croître. Début août, c’est une centaine de personnes qui succombent chaque jour ; à la fin du mois, toute la ville de Marseille est touchée, tandis que meurt un millier de d’habitants par jour.
L’historien Gilbert Buti, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille, raconte cette histoire dramatique dans un livre fondé sur une documentation impressionnante. Son récit montre la réalité crue d’une épidémie en un temps où la médecine est balbutiante, le courage héroïque des édiles ou de Mgr de Belsunce, l’archevêque de la ville, qui organisent le secours aux malades et l’évacuation des cadavres, la panique et la lâcheté de bien d’autres. En dépit du blocus décrété par le Conseil du roi, l’épidémie se répand en Provence et une partie du Languedoc, tuant 120 000 individus dans un périmètre habité par 400 000 personnes, soit près d’une victime sur trois.
Dénégations des autorités qui s’affolent ensuite devant le développement de l’épidémie, mesures de confinement et d’isolement parfois radicales (pour isoler la région, un mur fut construit en Haute-Provence, dont il subsiste des vestiges), billets de sortie à produire à la police en cas de déplacement : le lecteur trouvera quelques analogies, mutatis mutandis, avec ce que nous venons de vivre. La mémoire de la peste n’a pas disparu en Provence : elle atteste de la force du traumatisme éprouvé par les contemporains en 1720. ■
Colère de Dieu, mémoire des hommes. La peste en Provence, 1720-2020, de Gilbert Buti, Cerf,
310 p., 22 €
Jean Sévillia
www.jeansevillia.com
Le Figaro Magazine – vendredi 2 octobre 2020
Le Parlement de Provence considéra que la gravité de la situation ne permettait plus de relations avec Marseille et Aix en Provence donna l’exemple. La rue appelée « Rue fermée » (située entre la rue de La Couronne et la Rue Lisse des Cordeliers) est symbolique de la rupture provisoire avec les Marseillais considérés comme « pestiférés ». Cette voie conduisait à l’époque à la route reliant Aix à Marseille.
Dans le quatrième volume de ses souvenirs d’enfance « Le temps des amours » publiés après sa mort, Marcel Pagnol fait une bien vivante digression sur cet épisode…