PAR PIERRE BUILLY.
Les ponts de Toko-Ri de Mark Robson (1955)
Le bout du monde
En 1952, les valeureux soldats des États-Unis d’Amérique n’en avaient pas fini avec ce que l’on appelait alors les petits hommes jaunes.
À peine la question du Japon avait-elle été réglée (de façon radicale, j’en conviens) les 6 et 9 août 1945 que commençait, le 25 juin 1950, la guerre de Corée à la suite de l’invasion des forces communistes du Nord du territoire du Sud. On remarquera que la situation, stabilisée d’apparence depuis le 27 juillet 1953, n’est toujours pas réglée et ne semble pas proche de l’être.
Mais, comme la nécessité de se nourrir, la guerre est inhérente à l’Humanité ; on ne peut que se féliciter, avec une bonne part d’égoïsme, de passer au travers, lorsqu’on fait partie d’une génération bénie qui l’évite. Et il n’y a pas tant que ça dans la furibonde histoire de l’Humanité.
Donc, dans la routine guerrière habituelle, ces Ponts de Toko-Ri, qui furent un immense succès public en 1955, ce qui était, au demeurant bien mérité. C’était alors l’époque où l’Occident était plutôt fier de lui-même, des coups qu’il avait portés aux diverses barbaries exogènes et où le cinéma faisait tout pour donner aux jeunes gens la fierté d’être ce qu’ils étaient. On voit par là qu’une sorte de révolution (au sens mathématique du terme) s’est depuis lors produite, qui ne cesse de tenter de faire pleurnicher la jeunesse sur les monstruosités prétendument commises par ses ancêtres et ses géniteurs. C’est ainsi qu’une Civilisation perd pied. Ce qui est une autre histoire.
Le film de Mark Robson (qui aime assez les films d’hommes : voir Plus dure sera la chute ou Les centurions) est une grande réussite, très ancrée dans son époque, mais qu’on apprécie, précisément du fait de cet ancrage. Même si l’on se pose des questions sur l’engagement, sur la possibilité de mourir dans une mauvaise guerre, au mauvais endroit, même si on a plein d’états d’âme, on ne se dérobe pas à son devoir, à la nécessité absolue d’obéir à la logique de la guerre.
Le lieutenant de l’Aéronavale Harry Brubacker (William Holden) est avocat dans le civil, mari d’une très jolie femme, Nancy (Grace Kelly) et père de deux charmantes petites filles ; il se demande bien ce qu’il fait sur ce porte-avions qui patrouille dans l’Océan Pacifique entre Japon et Corée et il se dit qu’il serait bien plus heureux dans le Massachussetts. Mais c’est un as de l’aviation, un officier sur qui on peut compter. Et en premier lieu l’amiral Tarrant (Fredric March) et son chef d’escadrille Wayne Lee (Charles McGraw). On doit le faire. Donc on le fera ; c’est un peu le fond du récit.
Les Ponts de Toko-Ri présentent un mélange très réussi ; il y a quelques scènes sentimentales, très attachantes (le bain de la famille Brubacker dans un établissement nippon, bain qui se prend nu et qui provoque une scène délicieuse lorsque les pudiques Étasuniens voient arriver une famille nippone). Il y a aussi d’excellentes et spectaculaires scènes de combats aériens, au dessus des fameux ponts qu’il s’agit de détruire et, in fine, un combat féroce des aviateurs contre les soldats communistes.
Il y a enfin une présentation presque documentaire de la vie d’un porte-avions qui (je me le rappelle encore, soixante ans après) bluffait les spectateurs, parce qu’elles étaient spectaculaires et précises : les décollages, avec des catapultes qui propulsent les avions, les approches, les appontages, avec les crosses et les filets, la vie confinée et précise des navires. Tout cela est excellemment montré par Mark Robson.
De façon plutôt insidieuse, je m’amuse aussi de la vertueuse bonne conscience qui présente un Japon, des Japonais, (mais surtout des Japonaises), parfaitement respectueux et fascinés par l’Oncle Sam. Ce ne sont que courbettes et soumissions. Les petites putes nippones se disputent les beaux, grands, riches, victorieux matelots qui les achètent à coup de dollars. On imagine assez bien ce qu’aurait été, vers 1950, l’état de la France si les Boches avaient gagné la guerre. Quelle pitié ! ■
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