Par Elisabeth Lévy.
Cet article est paru dans Causeur hier 23 octobre. Nous n’avons pas grand chose à commenter : nous partageons l’analyse finalement plutôt sage et paisible, terriblement lucide, que donne ici Elisabeth Lévy. Sa réflexion va loin, lorsqu’elle écrit : les savants fous que nous avons élus (enfin, que la minorité d’électeurs qui s’est déplacée a élus, mais tant pis pour les autres) sont engagés dans une démentielle manipulation anthropologique de l’espèce. N’est-ce pas le stade ultime de l’idéologie révolutionnaire ? S’en prendre à l’homme historique, hériter, et finalement à l’homme tout court.
Les nouveaux maires écolos veulent faire de leurs villes des fabriques de l’homme nouveau. Conjuguant mépris du populo et détestation de la France, ils sont aussi sensibles au malheur des bêtes qu’ils sont insensibles au bonheur des hommes.
Bordeaux, Lyon, Grenoble
Leur rêve est notre cauchemar. Et il est en train de devenir réalité.
Les écolos qui, lors des municipales de mars et juin, ont ravi au socialisme bourgeois les métropoles les plus riches de France – à l’exception de Paris, mais c’est tout comme – n’en font pas mystère. Nos grands maires ne font pas que du vélo. Les villes sont leurs laboratoires, le chaudron où ils inventent le monde magique de demain. Et bien sûr, nous sommes, au choix, les papillons ou les grenouilles sur lesquels ces savants fous testent leurs diaboliques inventions. De notre alimentation à nos déplacements (on dit mobilité), du bureau à la chambre à coucher, ils s’évertuent donc à placer toute l’existence sous surveillance.
Mais il ne leur suffit pas de changer la vie et la ville, ce qui signifie d’abord pourrir l’une et l’autre en transformant tout itinéraire urbain en parcours d’obstacles, et cela que l’on soit automobiliste, piéton ou même cycliste. C’est nous qu’il s’agit de régénérer, reprogrammer, recalibrer, afin que nous devenions de dignes enfants du Progrès. Pas besoin de manipulation génétique : sous prétexte de sauver la planète, les savants fous que nous avons élus (enfin, que la minorité d’électeurs qui s’est déplacée a élus, mais tant pis pour les autres) sont engagés dans une démentielle manipulation anthropologique de l’espèce. Et ils en sont fiers. Insensibles au réel et sourds à la logique, ils prétendent préserver en éradiquant, humaniser en ensauvageant, convaincre en interdisant, revenir au local en rompant tout ancrage, faire de la démocratie participative à coups de sanctions. Les Verts, c’est la révolution de l’oxymore. Ils réinventent la roue. En carré.
Ils parlent une langue inconnue, truffée de jargon citoyenniste – co-construction, co-décision, interpellation, pétition – et de résilience, mise à toutes les sauces, notamment dans les intitulés des postes d’adjoint – « à la ville résiliente », « à la résilience alimentaire », « à l’urbanisme résilient ». Tout est « résilient », à l’exception bien sûr des charpentes symboliques et langagières qui soutiennent les sociétés humaines. Tout doit être durable et tout doit disparaître.
Les maires Verts veulent effacer et détruire le passé
Pour créer de toute pièce une nouvelle nature humaine, il faut d’abord faire place nette. L’écologie façon Piolle, Doucet ou Hurmic, est d’abord une vaste entreprise d’effacement du passé. En philosophe passionnée par la beauté du monde et l’éternité des choses, Bérénice Levet décrypte : « La nature leur sert d’alibi pour mieux anéantir la culture, de sorte qu’ils s’autorisent de “l’urgence climatique” pour abolir les modes de vie, les usages, les traditions. » Sans oublier le français, sommé de devenir le véhicule de la propagande LGBTQI et compagnie. Il est significatif que l’une des premières décisions de tous les nouveaux maires ait été d’adopter l’écriture inclusive, qui est, selon l’Académie française, « un péril mortel pour la langue française ».
Sans se concerter, mais avec le même instinct sûr de destruction, les nouveaux édiles ont dirigé leur fureur vers quelques symboles qu’affectionne la France des bistrots et des clochers, des lotissements et des zones commerciales désertées, en un mot le vieux monde machiste, homophobe, raciste et genré : Tour de France et sapin de Noël, Vœux aux Échevins et delphinarium.
En clair, ça tombe toujours sur les mêmes. Ceux qui ne font pas de safaris et ne nagent pas dans les mers chaudes et qui pour voir des dauphins ou des tigres ont le choix entre internet et le cirque de passage.
Les écolos contre les classes populaires
Pointe avancée du camp du Progrès, les écolos n’aiment pas le populo qui, précisément, veut pouvoir chérir son héritage. Ils vomissent son esprit étroit, ses distractions ringardes et ses activités polluantes. Pour l’élu parisien Jacques Boutault, écolo tendance salafiste, les amoureux du Tour sont des abrutis qui « restent dans leur canapé à rêver à des exploits de types hyper dopés qui ne gagnent que parce qu’ils se font changer leur sang dans des cliniques. » Lesquels évoquent furieusement les ploucs qui « fument des clopes et roulent au diésel », de Benjamin Griveaux. « Mépris de classe », s’énerve Isabelle Saporta, qui ne manque pas une occasion de tirer à boulets rouges sur le parti de son compagnon, Yannick Jadot (pages 60-62). Des « rabat-joie qui détestent tout ce qui fait plaisir aux gens », résume Marlène Schiappa. Avec, en prime, un petit côté ligue de vertu, qui leur vient de leurs alliées néoféministes. Ainsi Éric Piolle, le précurseur grenoblois, qui entame son deuxième mandat, ironise-t-il sur la 5G, qui servirait, selon lui, à regarder du porno dans un ascenseur. Quand bien même, on ne voit pas ce que cela aurait de répréhensible (qu’est-ce qui est le plus grave, le porno ou l’ascenseur ?)
Les Verts veulent voir des vélos partout, sauf sur la Grande Boucle. Leur truc, c’est le sport mondialisé et conscientisé, pas le sport terroir, avec baisers aux coureurs et spécialités régionales. D’après une excellente enquête de Judith Waintraub, le maire de Rennes a refusé, sous la pression de ses alliés verts, d’accueillir le départ du Tour 2021, une manifestation qui fait pourtant la joie des populations. En revanche, la Cyclonudista naturiste et écologiste aura bien lieu. On respire. [Photo : Le maire de Lyon Grégory Doucet assiste à la cérémonie du podium de la 14ème étape du Tour de France, 12 septembre 2020.© AFP]
On l’aura compris, ce que les Verts détestent dans le Tour de France, c’est la France. « Ce qu’ils haïssent, de moins en moins secrètement, c’est notre France chaleureuse, celle qui croit en quelque chose, qui s’émerveille naïvement devant un maillot jaune, qui chérit ses statues », s’enflamme le maire de Béziers Robert Ménard, non sans quelque naïveté (pages 58-59). La France, pays des mâles blancs et de l’électricité nucléaire, de Colbert et de Zemmour est vouée à disparaître dans l’empire du bien écologique.
L’enfer vert est évidemment pavé de bonnes intentions, voire de nobles causes. Qu’il faille se préoccuper de pollution, de réchauffement climatique, de protection des espèces et des paysages, nul n’en disconvient. Le diable est dans la méthode.
De ce point de vue, l’affaire des animaux de cirque est révélatrice. C’est Barbara Pompili, la sémillante ministre de la Transition écologique passée d’EELV à la Macronie, qui, en plein foutoir sanitaire s’est emparée de ce sujet brûlant, mais la plupart des maires écolos avaient déjà banni tigres, lions et autres éléphants encagés, de même d’ailleurs que 400 villes en France. Nous avons tous pleuré sur le sort cruel de l’éléphant Dumbo. Peut-être les animaux du cirque sont-ils condamnés par notre sensibilité nouvelle au bien-être animal. Alors qu’il en reste 500 se produisant dans une centaine de cirques, on aurait pu s’en remettre à la désaffection croissante du public, faire confiance à l’évolution des mentalités. Mais non, il faut passer en force et trompeter qu’on va en finir avec cette survivance odieuse.
Les dérives des Verts suscitent le rejet
De plus, avec les Verts on ne sait jamais où ça s’arrête, ou plutôt, on ne le sait que trop : ça ne s’arrête pas. Pourquoi ne pas interdire l’équitation dans la foulée ? Après tout, il n’est pas naturel, pour un cheval, d’avoir un homme sur le dos. Combien de temps faudra-t-il avant qu’ils ne réclament la fermeture des zoos, ces prisons animales ? Il est tout de même curieux d’être si attentif au malheur des bêtes et si peu soucieux du bonheur des hommes. On a même l’impression fâcheuse que certains maires prennent un plaisir pervers à brutaliser la société, en tout cas la fraction qui résiste à leur ambition démiurgique. Que ces déplorables aillent polluer hors de nos centres-villes.
Cet activisme écolo a au moins une vertu, c’est qu’il devrait, en toute logique, barrer la route de l’Élysée aux plus délirants. Comme le dit Saporta : « Ce n’est pas avec une idée à la con par jour qu’on rassemblera les Français. » À en croire les sondages, ceux-ci n’apprécient guère la créativité de leurs maires, même quand ils ont voté pour eux. Au demeurant, Yannick Jadot semble l’avoir parfaitement compris, lui qui entend réconcilier croissance et écologie, lutte contre le réchauffement climatique et technologie. Dans un entretien paru dans L’Obs, il s’est aussi clairement démarqué de la complaisance envers l’islamisme affichée par Piolle comme de la tendance excusiste de nombre de ses camarades de parti qui pensent que l’insécurité n’existe pas, mais qu’elle est un produit de la domination sociale. Bien qu’il ne soit pas allé jusqu’à parler à Causeur, son pas de côté lui a immédiatement valu des attaques en règle de ses chers camarades. Frédéric Ferney se demande si Jadot, en plus d’un projet raisonnable, possède l’ambition folle qui lui permettrait peut-être de le réaliser (pages 64-65). Il est possible qu’on ne le sache jamais, en tout cas pas en 2022. On peut en effet compter sur le tempérament suicidaire de nos écolos pour leur faire préférer un candidat n’ayant aucune chance d’être élu. ■
Elisabeth Lévy
fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur.