PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro d’hier samedi. Redisons le : depuis que nous avons découvert ses écrits, sa pensée, il y a déjà plusieurs années, nous savons que nous sommes sur la même ligne que celle de Mathieu Bock-Côté. Ici, une question de fond cependant : l’érosion mortifère de la constitution de 1958, celle de la Ve République, au profit des juges français et européens, était-elle évitable ? De Gaulle pensait que l’élection du président de la République au suffrage universel soustrairait l’État au régime des partis ou des factions et ferait de son Chef l’homme de la nation. Mais ce qui était vrai pour lui à raison de son équation personnelle le fut de moins en moins au fil des décennies pour ses successeurs. Les présidents de la République actuels ont été récupérés par le Système (partis, factions, groupes de pression intérieurs et extérieurs) , l’exécutif a perdu son indépendance, la souveraineté nationale n’est plus incarnée ni pleinement exercée, le Chef de l’État n’est plus, de toute évidence, l’homme de la nation, laquelle s’en défie autant qu’il est possible. A vrai dire, selon nous, considérer que l’élection du président de la République au suffrage universel suffirait à établir sa légitimité, son indépendance, était une erreur. Et, toujours selon nous, si paradoxal que cela puisse paraître, le moyen le plus efficace pour qu’existe une authentique vie démocratique au cœur du Pays Réel, de la France d’en-bas, serait d’instaurer au sommet de l’État une autorité pérenne, ou en d’autres termes a-démocratique, soustraite à l’élection, qui incarnerait la nation historique et trouverait l’indispensable assentiment populaire aujourd’hui disparu. Faute de quoi, pardon à Mathieu Bock-Côté, nous ne croyons pas à une restauration possible et pérenne des institutions de la Ve République. Au reste, comme les allumettes, les Institutions ne peuvent servir qu’une fois. La Ve République a failli comme les précédentes. Nous devons en convaincre le plus grand nombre pour inverser vraiment la mécanique de nos malheurs.
Sous le signe du djihad intérieur.
L’attentat de Nice, qui s’ajoute à celui de Conflans, annonce une nouvelle séquence islamiste, sous le signe du djihad intérieur.
Rien de tout cela ne surprend vraiment, même si la barbarie des méthodes révolte. À hauteur de l’histoire, la multiplication de ce qu’on appelle pudiquement les « attaques au couteau » correspond à une entreprise de terreur pour sidérer les Français et les pousser à la soumission dans leur propre pays. Des Français, en France, peuvent se faire poignarder, égorger et décapiter par des gens qui abusent de leur hospitalité, et qui font la guerre à leur nation. C’est la France qu’on attaque, quel que soit son visage, qu’elle soit catholique, juive ou athée.
La présente offensive est officiellement liée aux caricatures de Charlie. Les islamistes veulent institutionnaliser leur définition du blasphème dans la société française et sont prêts à imposer la peine de mort à ceux qui ne s’y soumettent pas. On en trouve pour chercher un accommodement avec eux. Le sacrifice de la liberté d’expression serait le prix à payer pour voir l’islam s’implanter massivement en France. Répétons tous ensemble : la diversité est une richesse. En réalité, si la France est visée aussi ouvertement, ce n’est pas parce qu’elle est considérée comme le ventre mou du monde occidental, comme on le répète trop souvent, mais parce qu’elle incarne, malgré ses contradictions, un modèle de civilisation qui représente une résistance objective à la conquête islamiste, qui se déploie à la fois par l’expansion démographique, l’occupation symbolique d’un territoire et le terrorisme.
Les efforts intellectuels investis dans des théories explicitement vouées à nier l’islamisation progressive de pans du territoire français sont fascinants. Depuis des années, il fallait non seulement nier l’incompatibilité profonde entre un islam conquérant et la France, mais relativiser le danger islamiste au point de le nier et de voir chez ceux qui s’en inquiétaient d’inquiétants propagateurs de haine. Ceux qui, depuis plus de trente ans, ont vu venir le péril furent traités de la plus vile manière. Certes, depuis 2012, les attentats troublaient le récit de la diversité heureuse. On faisait tout pour les traiter comme autant de gestes isolés, dramatiques, certes, mais ne remettant pas en question la civilisation nouvelle se construisant sous l’effet de vagues migratoires subies. Les patriotes les plus ardents étaient traités comme des délinquants idéologiques. Ils le sont encore trop souvent.
Le mythe de la guerre civile doit être réfuté. Certains islamistes ont beau avoir souvent la citoyenneté française, ou se trouver régulièrement sur son territoire, ils révèlent simplement par là qu’une nation ne saurait se réduire à sa dimension juridique. En l’espèce, entre le droit et la réalité, l’écart est tel qu’il vire à la contradiction. La rhétorique du « pas d’amalgame », très en vogue au milieu des années 2010, ne convainc plus personne. C’est un choc de civilisations qui se révèle sur le territoire français, qu’Erdogan cherche à amplifier en le transformant en guerre d’agression. Il cherche à embrigader les populations turques installées en Europe, notamment en Allemagne, mais aussi en France, pour disposer de milices agressives – non sans succès comme on l’a vu encore ces jours-ci à Décines (Rhône) et à Vienne (Isère).
Tétanisées, les autorités françaises condamnent fermement les attentats, et rêvent de gestes spectaculaires sans savoir lesquels entreprendre. Tous s’interrogent sur les conditions d’une riposte. Il n’est plus possible de traiter l’islamisme au cas par cas. Mais le système mental auquel les élites sont soumises les condamne à l’impuissance. Le pouvoir s’est enfermé dans un dispositif juridico-idéologique qui l’empêche de réagir autrement qu’à travers des déclarations grandiloquentes. Il importe de reconstituer un pouvoir délivré des catégories pétrifiées de ce qu’on nomme faussement l’État de droit, et qui est en fait un régime post-démocratique supranational diversitaire dominé par des juges militants et emmailloté par des traités relevant de la logique de la gouvernance globale.
La question du régime est cyclique dans l’histoire de France. On le sait, pour sortir de la guerre d’Algérie, la France a refondé ses institutions afin de se délivrer de l’empire des partis et redonner de la substance au pouvoir. Il en est de même aujourd’hui pour qu’elle puisse prendre à bras-le-corps l’offensive islamiste, et plus largement, la question identitaire dans toutes ses dimensions. Il ne s’agit pas ici de fantasmer sur une VIe République mais de réanimer l’esprit de la Ve, en restaurant la souveraineté du peuple historique français pour lui donner les moyens de persévérer dans son être. Ainsi, elle renouera avec une conception authentique de la démocratie et s’affranchira de la contrefaçon idéologique qui s’y est substituée et qu’instrumentalisent aujourd’hui ses ennemis. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Publié dans JSF à 6h35