PAR PIERRE BUILLY.
Duellistes de Ridley Scott (1977).
Je l’aurai, un jour, je l’aurai !
Résumé : Deux lieutenants de l’armée napoléonienne, Armand d’Hubert et Gabriel Féraud, vont poursuivre une querelle pendant quinze ans a travers toute l’Europe et se provoquer régulièrement en duel.
S’il ne s’agissait que d’apprécier la beauté, le raffinement des images et des lumières, le soin apporté au choix des décors, des costumes et des objets de la vie quotidienne et des servitudes militaires, si l’on pouvait ne rester que dans un magnifique livre d’art, certainement Duellistes mériterait la note la plus haute.
Je n’ai pas souvenir d’avoir aussi été émerveillé, pour la composition toujours maîtrisée de la surface entière de l’écran, depuis Barry Lyndon ; et, de fait, un arrêt sur l’image, à quelque moment du film qu’il intervienne, donne toujours l’impression que le réalisateur a attaché à chaque instant un soin maniaque à l’esthétique de son travail.
Mais cette suite de tableaux superbes est au service d’un scénario aussi mince qu’une feuille de papier à cigarette, qu’il aurait peut-être été plus propice de tourner en moyen métrage, si les considérations commerciales l’avaient permis.
Les deux soldats de la Grande armée, Gabriel Féraud (Harvey Keitel) et Armand d’Hubert (Keith Carradine) n’ont aucune épaisseur, aucune substance, aucune réalité, demeurent purement iconiques, simples machines à porter bellement les uniformes chamarrés de l’Empire et à se ficher des peignées mémorables avec tout l’arsenal des hussards.
J’exagère un peu ; dans sa seconde moitié, le film dote le charmant d’Hubert d’une Laura (Diana Quick), maîtresse qui a roulé dans tous les fourgons des armées puis, plus sagement, d’une calme épouse, Adèle (Cristina Raines) et lui façonne un bout de personnalité, attachante au demeurant.
Mais on ne saura rien, ou presque, de son ennemi Féraud. Voilà qui ôte beaucoup d’intérêt à une œuvre qui aurait pu être bien davantage bâtie sur l’aversion instinctive, immédiate, irraisonnée (et d’autant plus forte qu’elle est ainsi constituée) des deux hussards, même si c’est d’évidence, Féraud qui cherche le plus constamment des noises à d’Hubert, qui en est bien embêté.
Duellistes est un film trop beau pour être vrai, trop travaillé, trop léché, trop sophistiqué, trop enchanté de soleils levants sur la rosée et trop transi de brumes glaciales, trop pictural, trop décoratif pour demeurer autrement que comme un superbe exercice de style un peu vain. ■
DVD autour de 10 €
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Publié sur JSF à 4h30
Enfin, quoi, c’est trop bon pour être encensé par notre ami Builly. Pour ma part, j’ai trouvé ce film exceptionnel. et je pense que s’il avait prêté attention à de nombreux détails, il aurait pu voir que les deux personnages centraux ne sont nullement des silhouettes. D’Hubert est plus conformiste que Férand, mais moins vaniteux. Férand nous livre certaines caractéristiques de son caractère. Il est visiblement plus soudard que d’Hubert, quelque peu asocial, et c’est pour cela qu’il a pour idée fixe de le tuer. Il faut noter que le duel, dans les anciennes sociétés, était un moyen de sortir d’une querelle. Non pas le fait d’en être le vainqueur, mais de l’avoir affronté. A ce titre, Férand commet une faute impardonnable de savoir-vivre, en s’obstinant à provoquer son ancien camarade. Du reste, on le voit bien à la fin, Férand reste un demi-solde, lié avec d’anciens sous-off, comme le personnage un peu cradingue qui vient lui fixer rendez-vous, alors que d’Hubert s’est rallié aux Bourbons, plus par désir de tranquillité que par fidélité dynastique. Il y a bien d’autres choses dans ce film, notamment en ce qui concerne l’étiquertte du premier Empire. Le problème est que Builly se veut un critique moderne, défini par Victor Hugo comme celui qui s’intéresse avant tout aux « caractères ».
Cher Pierre, je suis tout, sauf un critique ! Je ne suis même pas un cinéphile, mais plutôt un cinéphage qui ingurgite tout ce qui li tombe sous les yeux, chefs-d’oeuvre et nullités ! Sur mon blog il y a presque 2400 textes et je ne désespère pas, si Dieu me prête vie, à atteindre les 3000 !
« Duellistes » ne m’a pas déplu, loin de là, par rapport à bien des horreurs vues jadis et naguère ; j’ai écrit simplement ce que je ressentais.
Mais tes arguments ont du poids et de la qualité, ce qui ne m’étonne pas de toi ; je vais donc essayer de revoir le film à la lumière de tes observations…
Et c’est peut-être le plus remarquable dans ce film, que le détachement du réalisateur vis-à-vis des deux duellistes. Les personnages sont lisses, presque fades. L’essentiel est dans cette obsession maladive de Féraud à se battre contre d’Hubert qui semble incapable d’échapper à cette malédiction.
L’ambiance du film en est presqu’écrasante, et magnifique…
Et pourquoi ne pas faire référence au livre « Le duel » de Joseph Conrad ???… !!!
Sans doute le film, que je n’ai pas vu, est-il tiré de cette oeuvre un peu longuette comme la poursuite sans fin de ce duelliste, qui est seul puisque son adversaire ne fait que répondre à ses appels !
Vous avez tout à fait raison, Gunolé de Mareuil : le film « Duellistes » est adapté de Joseph Conrad ; ce à quoi je n’ai pas fait attention.
il est vrai que je ne crois pas avoir lu une ligne de Conrad. Sûrement à tort, mais le paysage littéraire est si vaste…