Après avoir décrit minutieusement tous les vices irréductibles de la République à la française, lesquels la séparent radicalement de la France historique, Zemmour tente in fine, grâce à Péguy, l’impossible conciliation entre la France qui est née royaume et la République qui le détruit. Sauf à prendre République au sens, anachronique en France, où on l’entendait à Rome et dans la France d’Ancien régime. La référence compulsive et constante à la République et à ses valeurs à quoi la France se réduirait irrite Zemmour. Les mots et la chose même. Y aura-t-il pour lui un temps pour conclure ? Y aura-t-il les circonstances ? Nous l’ignorons. Article paru dans le Figaro magazine, dernière livraison.
Ils n’ont que ce mot à la bouche. À gauche comme à droite, et au centre, à la France insoumise mais aussi au Rassemblement national. C’est le point de consensus entre Macron, Le Pen, Mélenchon et les autres.
La République sur tous les tons et à toutes les sauces. La République comme réponse à tout. Un extraterrestre qui débarquerait en France pourrait croire que la France est sous la menace d’un putsch monarchiste, et que tous les Républicains doivent s’unir. Il n’en est rien : la République n’est pas menacée et c’est peut-être pour ça qu’elle est si défendue. La République, ses valeurs et sa sacro-sainte laïcité. La réponse du président aux attentats islamistes, c’est la République. Et son arme est la laïcité.
Qui y croit sérieusement ? Qui croit qu’un homme prêt à décapiter un professeur parce que celui-ci a insulté Allah sera arrêté par les règles de la laïcité ? On n’est pas dans le même registre. D’un côté, des règles juridico-poli tiques ; de l’autre, une foi fanatisée qui veut imposer un système –
juridico-politique de remplacement : la charia. Ce n’est pas la République qui est visée, mais la France. Une France à la fois chrétienne et irrévérencieuse, la France des croisés et de L’Assiette au beurre.
Dans la bouche de nombre de politiques, la République est, depuis des années, le moyen commode de ne plus prononcer le mot France. Cette France qui doit se fondre dans l’Europe. La France qui sous-entend un enracinement, une histoire, une géographie, un peuple, une culture,
des mœurs. Bref, une civilisation. Une France à laquelle on doit s’assimiler. À Rome, faire comme les Romains. Et à Paris, faire comme les Parisiennes. La République, c’est plus commode, cela signifie seulement une légalité superficielle qui fait consensus. Au-delà commencent les ennuis. Les territoires perdus de la République sont les territoires perdus de la France. Des enclaves qui, parce qu’étrangères, sont devenues le terreau d’une contre-société fondée sur les règles islamiques. Un contre-pays : l’oumma. Une contre-civilisation qui produit terroristes islamistes et délinquants bas de gamme. Le djihad pour tous. Malraux l’avait dit : « Une civilisation, c’est ce qui s’agrège à une religion. »
C’est parce que la classe politique a voulu se débarrasser de la France qu’elle a fait de la République un tigre de papier. Une République réduite à des valeurs abstraites et à une laïcité limitée à la liberté de croire ou de ne pas croire, et à la neutralité de l’État, en oubliant son troisième pilier, à savoir un « devoir de discrétion » des religions dans l’espace public qui, en évacuant Dieu du débat, permet seule un affrontement rationnel au sein de l’espace des idées et des convictions. La République peut être unitaire ou fédérale, italienne ou américaine, libérale ou populaire, laïque ou islamique. Seule la France est française. Et comme disait Péguy, dans sa célèbre formule : « La République, notre royaume de France. » ■
Publié dans JSF à 5h55
Article de la Revue des Deux Mondes, pour débattre avec le lucide Zemmour.
Jeudi 29 octobre, Brahim Issaoui, djihadiste d’origine tunisienne, a égorgé trois personnes dans l’enceinte de la basilique de Nice aux cris de « Allahu akbar ». Cet attentat faisait suite à la décapitation de Samuel Paty par un jeune Tchétchène le 16 octobre et à l’attaque contre les anciens locaux de Charlie Hebdo par un jeune Pakistanais le 25 septembre. Un enseignant, des croyants catholiques, un journal satirique. Qui est attaquée ? La France ou la République ?
Les islamistes veulent déstabiliser la République et ses valeurs, disent les uns. C’est-à-dire nos principes d’égalité, de laïcité. Notre liberté d’expression. L’égale protection de ceux qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas. L’intégration de tous dans le respect des principes. La prééminence de la raison qui prime sur l’obscurantisme, l’éducation qui forge l’esprit critique…
Les islamistes s’attaquent à la France, bien au-delà de la République, disent les autres. La France et ses multiples héritages : judéo-chrétien, romain, grec, humaniste. La France des Lumières, son esprit voltairien, ce droit de rire de tout même des religions, droit chèrement conquis. La France et ses mœurs, sa culture, sa littérature, sa géographie, son histoire.
« Défendre la France, attention. Le débat est miné. On peut très vite être accusé de faire le jeu des identitaires de droite, accrochés au passé, obsédés par la souche, la « terre qui ne ment pas » et autres dérives xénophobes. »
Ce débat est lourd de tabous. Défendre la France plutôt que la République c’était, au XIXe siècle et même au début du XXe, se ranger dans le camp des monarchistes. Défendre la République, que plus personne ne conteste aujourd’hui, c’est embrasser large. Tout le monde est d’accord même si on ne sait plus vraiment de quoi on parle. La laïcité est revendiquée par tous, y compris les tenants de l’islam politique qui la veulent ouverte et « inclusive ». La liberté est défendue par tous y compris les femmes voilées qui veulent être libres d’être soumises. La liberté d’expression, bien sûr, chacun la respecte ; mais comme dans La Ferme aux animaux de George Orwell, où « certains animaux étaient plus égaux que d’autres », certains droits à l’expression devraient désormais être « moins libres » que d’autres. Ainsi, la liberté de se moquer du Pape est beaucoup plus libre que la liberté de caricaturer le Prophète. Mais n’ergotons pas. La République continue d’être notre bien le plus précieux. À juste titre.
Défendre la France, en revanche, attention. Le débat est miné. On peut très vite être accusé de faire le jeu des identitaires de droite, accrochés au passé, obsédés par la souche, la « terre qui ne ment pas » et autres dérives xénophobes. Même si, aujourd’hui, la nostalgie monarchique et l’influence de l’église catholique, bien réels sous la IIIe République, sont largement démonétisés. Les islamistes s’attaquent-ils à la France ou à la République ? À notre culture et à nos mœurs ou à la laïcité ?
Aux deux bien entendu. À « ce que nous sommes », qui est fondé sur nos multiples héritages, et à ce que nous défendons, un projet de société qui ne reconnaît que des individus et non des communautés. Qui privilégie ce qui nous rassemble et non ce qui nous divise. Séparer les deux est absurde. L’historien Jules Michelet avait réconcilié les deux France (la monarchiste et la républicaine) avec un récit national, pas toujours irréprochable, mais qui permettait à chaque petit Français de s’identifier à une narration englobant Vercingétorix, Jeanne d’Arc, la prise de la Bastille et Napoléon. Il est temps de refaire corps autour de « la République, notre Royaume de France », d’en revendiquer tranquillement les héritages, d’en critiquer s’il le faut les erreurs passées, d’être fiers de ses conquêtes (le statut des femmes entre autres) et de l’opposer aux fanatiques et aux pervers qui veulent saper ses fondements.
« À Nice, c’est bien la France, terre chrétienne millénaire, pays des « mécréants », qui est attaquée. Brahim Issaoui ne se préoccupe pas de faire le tri. Il n’attaque pas un symbole de la laïcité ou de l’État « islamophobe ». Il tue des chrétiens. »
À travers l’attaque de Charlie Hebdo et l’assassinat de Samuel Paty, c’est la République qu’on assassine ; c’est la liberté d’expression qu’on veut désacraliser, « adapter », expurger. Mais c’est aussi la France de Rabelais, de Molière et de Voltaire qu’on veut exiler à jamais. Car c’est le droit de rire qui devient suspect. La tyrannie douce des censeurs, des Tartuffe et des dévots : voilà le modèle rêvé de l’islam politique et de ses supplétifs de l’islamo-gauchisme.
À Nice, c’est bien la France, terre chrétienne millénaire, pays des « mécréants », qui est attaquée. Brahim Issaoui ne se préoccupe pas de faire le tri. Il n’attaque pas un symbole de la laïcité ou de l’État « islamophobe ». Il tue des chrétiens. Comme Mohammed Merah avait tué des juifs à Toulouse en 2012. Pas pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont. À Décines, une meute de Loups gris, militants islamo-nationalistes turcs, proches d’Erdogan, organisent une chasse à l’homme. « Où sont les Arméniens ? », hurlent-ils. « Allahu akbar ». « Ici c’est la Turquie ! ». Sans la présence des forces de l’ordre, on aurait probablement assisté à un début de pogrom. Comme tant d’autres dans l’empire ottoman, comme à Bakou et à Soumgaït en Azerbaïdjan en 1988 et 1990. Le tout en France dans des quartiers résidentiels sans histoire. Certes, il s’agit de l’exportation par Erdogan sur le territoire français de son djihad anti-arménien au Karabakh aux côtés des Azéris. Mais les termes des slogans sont intéressants : « Ici c’est la Turquie, ici c’est chez nous ». Faire peur, menacer, intimider.
La communauté turque est forte de 700 000 membres en France. Dont la majorité est très attachée à son sultan néo-ottoman. Doit-on avoir peur de sortir de chez soi quand on est Français d’origine arménienne à Décines ou ailleurs ? Décines où le monument en mémoire du génocide arménien a été tagué de façon explicite : « Nique les Arméniens », signé : Loups gris, RTE (Racip Tayep Erdogan). Imagine-t-on des jeunes Allemands néo-nazis venir en découdre avec les juifs dans les rues de Paris ? C’est du même ordre. Bravo à Gérald Darmanin d’avoir demandé la dissolution de ces Loups gris fascistes qui, rappelons-le, sont liés à l’assassinat en 2013 de trois militantes kurdes à Paris, rue La Fayette.
« Les islamistes veulent multiplier les tensions. Créer de l’exaspération et une réaction des Français contre les Français musulmans fait partie du plan. L’affrontement permettrait de désigner la France comme ennemi et de souder la « oumma » contre les « islamophobes ». Nous y sommes. »
« Ce n’est pas toi qui choisis ton ennemi, c’est lui qui te désigne. » Gilles Kepel expliquait que le djihad de troisième génération privilégie notamment la conquête des terres non islamiques où la bataille peut s’appuyer sur des « troupes », c’est-à-dire la communauté musulmane sur laquelle ces forces fondamentalistes font pression et qu’elles tentent d’intimider. Même si la majorité des musulmans n’ont aucune envie d’adhérer au projet conservateur de l’islam politique, s’opposer à sa dynamique peut s’avérer dangereux. On ne dira jamais assez le courage de celles et ceux qui sont en première ligne à dénoncer cette mainmise islamiste et à défendre la République.
Les islamistes veulent multiplier les tensions. Créer de l’exaspération et une réaction des Français contre les Français musulmans fait partie du plan. L’affrontement permettrait de désigner la France comme ennemi et de souder la « oumma » contre les « islamophobes ». Nous y sommes. Le boycott de la France, les appels à la haine dans les pays musulmans (Pakistan, Turquie, Koweït…), les prêches radicaux qui justifient l’assassinat de Samuel Paty donnent un avant-goût de ce qu’espère l’islamisme. Qu’il agisse en rangs dispersés, sans structure verticale, ne l’empêche pas d’avoir une stratégie précise et des alliances. Il tape dur. Et compte sur nos fragilités démocratiques pour que nos divisions l’emportent sur la fermeté du combat à mener. Et peu importe la France ou la République.