Tribune collective.
Le Figaro, 2.11.2020.
« La liberté de culte ne peut se négocier, surtout en des temps où elle est menacée», écrivent dans Le Figaro cinq évêques et plusieurs intellectuels catholiques, parmi lesquels Rémi Brague, Chantal Delsol, Fabrice Hadjadj, Pierre Manent et Monseigneur le Comte de Paris.
L’interdiction générale des messes nous paraît avoir un caractère disproportionné face au besoin de réaffirmer nos libertés les plus chères, parmi lesquelles celle de pratiquer notre religion.
Au moment même où notre pays entrait dans une deuxième période de confinement, le triple assassinat de Nice est venu douloureusement nous rappeler que les chrétiens paient un lourd tribut dans les attentats terroristes. Trois personnes ont en effet été sauvagement massacrées dans une église pour le seul motif qu’elles étaient chrétiennes. Déjà, le 26 juillet 2016, le père Jacques Hamel avait été égorgé à Saint-Étienne-du- Rouvray, au cours de la messe qu’il était en train de célébrer.
Les hommages qui se multiplient partout en France, en ces jours où nous sommes encore sous le choc de la décapitation du professeur Samuel Paty, montrent à quel point notre pays reste attaché à ses libertés fondamentales, bafouées par ces crimes: liberté d’expression, liberté d’enseigner, liberté de culte.
Les chrétiens en général, les catholiques en particulier, sont sensibles aux marques de sympathie et de solidarité qui leur sont adressées. Ils sont conscients de leur devoir de participer à ce sursaut collectif, si nécessaire dans la lutte contre le terrorisme islamique.
Pourtant, alors qu’on réaffirme que la liberté de culte constitue un droit fondamental à protéger, on la restreint dans son exercice par une interdiction quasi totale de se réunir dans les édifices religieux. On considère par là qu’elle n’est pas une «activité essentielle».
Nous pensons au contraire que la liberté de culte ne peut se négocier et qu’on doit lui permettre de s’exprimer, particulièrement en ce temps où elle est contestée. Si «la République assure la liberté de conscience» (loi de 1905, 1er article), l’État se doit de rendre possible l’exercice et la pratique du culte.
De nombreux catholiques se refusent à déserter leurs églises, où les fidèles viennent trouver consolation et espérance, en ces temps qu’il est bien difficile de traverser seul. La célébration de la messe n’est pas pour eux une modalité de l’exercice de leur foi, mais en constitue la source et le sommet. L’eucharistie non seulement rassemble, mais construit l’Église; elle en est le cœur et le centre vital. Depuis les origines de l’Église, les chrétiens ont toujours affirmé: «Sans le dimanche, nous ne pouvons vivre.» Même les persécutions n’ont pas découragé les chrétiens de se réunir le jour du Seigneur.
Ce nouveau confinement, nécessaire pour se protéger du virus, est un temps particulièrement difficile et anxiogène pour beaucoup. Les messes constituent un des rares moments où les fidèles viennent reprendre force et courage pour le supporter. En interdire l’accès, c’est la double peine pour les catholiques, si éprouvés dans leur foi. Ne les privons pas de ces espaces de ressourcement !
Si les lieux de consommation et les grandes enseignes de distribution restent ouverts, ils ne combleront pas les aspirations les plus profondes du cœur et ne suffiront pas à apaiser les craintes.
Face à l’épidémie de coronavirus, nous sommes conscients des précautions sanitaires à prendre et du respect de toutes les normes à observer rigoureusement. Depuis le déconfinement, nous avons pris nos responsabilités et les mesures barrières ont été strictement respectées. On n’a pas recensé de foyers de contamination dans les églises. Nous partageons pleinement le souci de préserver la santé publique. Mais l’interdiction générale des messes nous paraît avoir un caractère disproportionné face au besoin de réaffirmer nos libertés les plus chères, parmi lesquelles celle de pratiquer notre religion. Aussi, nous voulons pouvoir célébrer publiquement la messe, notamment le dimanche. L’eucharistie est le cœur de notre vie.
Pour autant, il nous semble que cette question doit interpeller tous les hommes attachés à nos libertés publiques fondamentales. En effet, à travers cette interdiction de la pratique religieuse, c’est la liberté de culte que l’on ne respecte pas.
Devant cette situation d’une profonde gravité, nous avons déposé plusieurs recours devant le Conseil d’État puisque déjà lors du déconfinement de juin, ce dernier avait enjoint le premier ministre de prendre des mesures mieux proportionnées aux risques sanitaires encourus. ■
LISTE DES SIGNATAIRES : Marc Aillet, évêque de Bayonne; Bernard Ginoux, évêque de Montauban; Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon; David Macaire, archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France; et Dominique Rey évêque de Fréjus-Toulon. Charles Beigbeder, entrepreneur; Rémi Brague, philosophe; Thibaud Collin, professeur de philosophie; Chantal Delsol, philosophe; Fabrice Hadjadj, philosophe, Jean d’Orléans, comte de Paris; Pierre Manent, philosophe; Charles Millon, ancien ministre de la Défense; Jean Sévillia, historien et journaliste; Martin Steffens, professeur de philosophie.
Publié sur JSF à 5h00
Il faut noter que d’autres recours ont été déposés devant le Conseil d’État ; selon le site catholique « Alétéia » – que je cite –
« Il y celui du président de la Conférence des évêques de France Mgr Éric de Moulins-Beaufort après consultation de l’ensemble des évêques, un autre déposé par cinq évêques (Mgr Dominique Rey, Mgr Marc Aillet, Mgr Jean-Pierre Cattenoz, Mgr David Macaire et Mgr Bernard Ginoux) en association avec différentes associations catholiques (les AFC, le Village de François, Anuncio…) et enfin un dernier déposés en leurs noms propres par l’évêque de Versailles et son auxiliaire. »