Par Philippe Mesnard.
Le 27 octobre, sur RMC, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui a expliqué qu’afficher sur des bâtiments publics des caricatures de Mahomet (et vraisemblablement les distribuer à l’école) contrevenait à la fraternité, éminente valeur républicaine. « Certes, la liberté d’expression, elle est là, mais la volonté délibérée d’offenser […] n’a pas lieu d’être dans un pays où la fraternité est son troisième triptyque […] Nous pouvons renoncer à certains droits, pas pour plaire ou faire plaisir à des extrémistes, mais par le devoir de fraternité. »
Voilà un propos remarquable quand on se souvient qu’en 2018 le Conseil constitutionnel avait déclaré qu’au nom du principe de fraternité, à qui on attribuait brusquement une valeur constitutionnelle, on pouvait, en toute illégalité, aider des immigrants clandestins à franchir nos frontières. En fait, il était clair que « tous les actes d’aides apportés à des fins humanitaires doivent bénéficier de l’exemption pénale » comme le site de Dalloz le soulignait.
Qui pourrait nier que la concorde sociale, autrement dit le vivre-ensemble, soit une fin humanitaire ? Qui pourra expliquer qu’arracher les caricatures affichées ou dérober les livrets qu’on imagine distribuer n’est pas un acte humanitaire, visant à préserver le vivre-ensemble ? Illégal, certes, mais fraternel. Donc constitutionnel. Répréhensible mais in fine absous – ou alors cette fraternité républicaine, désormais constitutionnelle, aurait-elle des limites ? Il serait juste et bon d’introduire en France des immigrants musulmans que nos manières révulsent mais on pourrait les exposer impunément à ce qui les scandalise ? Drôle d’hospitalité… À croire qu’on ne les ferait venir que pour nous servir de tâcherons dans l’immédiat et de tirelires dans l’avenir, leur travail permettant de maintenir notre système de redistribution sociale (que le monde entier nous envie, comme chacun sait).
Mais peut-être que le Conseil constitutionnel sera incohérent… Ce ne serait pas la première fois. Ne voit-on pas aujourd’hui les plus hautes instances juridiques de l’État valider en permanence tous les états d’urgence possibles et confirmer que le Président et son gouvernement peuvent, comme ils le veulent, s’abstraire de tout contrôle, imposer n’importe quelle règles et proclamer que le bien suprême, tel qu’ils le définissent, exige qu’on lui sacrifie nos libertés, dont celle d’être fraternels ? Car la fraternité qui permet de contribuer activement à l’introduction de clandestins hors-la-loi, la fraternité qui encourage des juges à accorder follement un asile politique à de futurs assassins, la fraternité qui exige que tous les enfants soient enseignés dans les écoles de la République y compris tous les meurtriers terroristes, invariablement passés par les établissements de l’Éducation nationale, entreprise fraternelle, cette même fraternité exige qu’on n’aille pas saluer ses parents, qu’on n’aille pas même les veiller sur leurs lits de mort, ni qu’on assiste à leur enterrement.
La fraternité sanitaire nous oblige paraît-il, à nous ruiner immédiatement, à nous désoler ensuite, à nous sacrifier sur le long terme, pour éviter que des gens meurent, car ces morts-là sont spéciaux : imprévus, ils pourraient, sans aucune fraternité, être reprochés au gouvernement ; qui du coup, préventivement, les reproche à tous les Français. Le ministère nous abreuve, à la radio et à la télévision, de publicités qu’on nous dit être des messages et nous font comprendre que si Mamie meurt, c’est bien la faute de ses enfants et petits-enfants. Les Français sont fraternellement unis dans une même sévère condamnation de leurs infâmes pratiques sociales, telles que l’apéro, qu’on brandissait en 2015 comme la pointe même de l’épanouissante laïcité à la française.
C’est ainsi, la fraternité est variable, comme la liberté et l’égalité. C’est sans doute qu’elle non plus n’est assise sur rien de stable. On ne définit pas une nation ni un État en posant d’abstraites vertus, en laissant les idéologues les interpréter et en finissant par confier les rênes effectives de la conduite des affaires publiques à un étrange attelage composé pour moitié de financiers qui prêtent et pour moitié de fonctionnaires européens qui légifèrent. Et Macron, qui contribue plus que ses prédécesseurs à défaire ce qui reste de notre souveraineté et à nier toute communauté de sort aux Français, qu’il oppose sans cesse, qui a contribué autant que les autres à nier le problème musulman et à légitimer toutes ses expressions politiques, le voilà qui nous appelle à l’unité. « We are one », touite-t-il. « La liberté, nous la chérissons ; l’égalité, nous la garantissons ; la fraternité, nous la vivons avec intensité. » Le million de pauvres supplémentaire – pendant que les plus riches s’enrichissent encore, les Gilets jaunes embastillés – pendant qu’on exonère les multi-récidivistes, les commerces ruinés – pendant qu’on subventionne les entreprises du CAC40, les victimes qui attendent en vain qu’on leur rende justice, tous apprécieront l’exercice de cette liberté chérie, la consistance de cette égalité et l’intensité de cette fraternité. ■
Article précédemment paru dans Politique magazine. Numéro de novembre qui vient de paraître.
Publié dans JSF à 6h55