PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro de samedi (21.11). Le sujet est en corrélation – fortuite – avec celui traité plus haut dans JSF par Louis-Joseph Delanglade. Une idée simple de notre part : il n’y aurait pas l’ombre de possibilité d’une remise en ordre et d’une quelconque renaissance du pays sans une refonte globale du système médiatique et, pour être clairs, sans de sérieux coups de balai.
Lundi, dans un entretien accordé au Monde, Delphine Ernotte a annoncé qu’elle consacrerait l’essentiel de son deuxième mandat à la tête de France Télévisions à assurer la «promotion de la diversité».
S’appuyant sur un usage décomplexé des statistiques ethniques, elle a expliqué que 25 % de la population française serait «non blanche». Ce chiffre peut paraître étonnant. On nous affirmait pourtant qu’évoquer une mutation démographique à grande échelle de la population française aujourd’hui relevait du fantasme et du conspirationnisme. À moins que cette mutation ne soit reconnue que lorsque vient le temps de la célébrer ? Faut-il comprendre que les statistiques ethniques sont autorisées lorsque Delphine Ernotte en fait usage mais interdites lorsqu’elles sont utilisées par un homme à la mauvaise réputation idéologique ? Il serait intéressant de le savoir.
Quoi qu’il en soit, Delphine Ernotte s’appuie sur ce chiffre pour en appeler à une meilleure représentativité de ceux qu’on appelle en Amérique du Nord les « racisé s». On n’en sera pas surpris pour peu qu’on se souvienne que Mme Ernotte affirmait en 2015 qu’« on a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans et ça, il va falloir que ça change ». Le régime diversitaire, avant chacune de ses charges, réactive la figure du bouc émissaire contre laquelle il se construit.
Sa méthode se veut musclée : «O n ne finance pas un projet quand la diversité n’est pas représentée.» En d’autres mots, France Télévisions entend se lancer dans une entreprise d’ingénierie sociale explicite. Pour citer cette fois Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, « le pays des Lumières sur ce sujet, de la diversité, est hautement réactionnaire. Avec une volonté politique sans ambiguïté, notre média engagé changera les mentalités sur le terrain ».
Mais la théorie de la représentativité des ondes repose sur une sociologie bancale, compartimentant de manière toujours plus étroite la société en identités claniques et rivales. À l’américaine, on distinguera d’abord les hommes des femmes et des « non-binaires » qui refusent d’entrer dans une de ces deux catégories, les bien portants des handicapés, en plus de trier tout le monde en groupes raciaux, bien qu’il soit ici possible de proposer une classification simplifiée, en séparant les Blancs méchants des minorités opprimées. Sans oublier tant d’autres catégories.
On suppose surtout que chaque individu ne peut finalement être représenté que par un membre du groupe auquel il est assigné par la bureaucratie diversitaire, et qu’il s’identifiera intégralement aux idées qu’on lui prête. Au terme de ce saucissonnage, le monde n’apparaît plus qu’à la manière d’une série d’échantillons représentatifs.
Naturellement, la moindre disparité statistique entre les groupes dont le régime diversitaire décrète l’existence sera interprétée comme le signe d’une discrimination. Le régime diversitaire ne prête aucune capacité d’abstraction aux individus, jugés incapables de se reconnaître dans une personne n’ayant pas le même phénotype (ensemble des caractères apparents d’un individu, NDLR). Il les enferme dans une perspective dont ils ne pourront plus se dégager sans être accusés de trahir leur communauté, comme on le voit aux États-Unis où les Noirs récusant la légitimité du racialisme se font souvent accuser d’être victimes du «s yndrome de l’Oncle Tom ».
C’est la notion même d’une culture nationale traversée par une aspiration à l’universel qui disparaît. Chacun conditionnera son appartenance à la nation au fait qu’elle reconnaisse formellement le groupe auquel il prétend appartenir d’abord, sans quoi il pourra se dire victime d’exclusion. Le multiculturalisme est une machine à concasser la possibilité même du commun.
La question revient: est-ce la mission du service public audiovisuel de rentrer dans la gorge de ceux qui le financent une idéologie ? Évidemment, c’est le propre de l’idéologue de ne pas savoir qu’il en est un, et de se voir comme un technicien pragmatique adaptant la société aux exigences du sens de l’Histoire. Ainsi, dans la « promotion de la diversité », il ne voit pas une idéologie mais un progrès dont la simple critique est inconcevable. Dès lors que ce service public se croit porteur d’une mission d’éducation des consciences, il n’est plus nécessaire d’assurer la représentation de la diversité des points de vue.
Entre ceux qui sont éclairés par la révélation diversitaire et ceux qui s’entêtent à ne pas s’y convertir, il n’y a pas de parité à établir, et les opinions issues du vieux monde seront présentées comme autant de préjugés à déconstruire pour qu’advienne la société inclusive. On fera même, comme on le fait sur France Inter, la liste des intellectuels à proscrire, des idées à bannir, pour que sur le chemin du régime diversitaire, le service public audiovisuel soit à l’avant-garde de la liquidation symbolique des réactionnaires. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Publié dans JSF à 6h550
Après ces deux points de vue, je note qu’à la radio il y a des problèmes d’objectivité mais aucun problème de diversité (sauf pour les bègues et les muets, bien entendu). Supprimons donc la télé pour retrouver ce sens de l’universel et du commun !