PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro de ce samedi (28.11). Au fond, elle se répartit entre deux éléments étroitement corrélés : le messianisme américain porté par un impérialisme fondé sur une puissance encore sans analogue et, en regard, l’analyse du modèle en soi-même que l’Amérique entend imposer au monde au titre de ce qu’elle croit ou affirme être sa mission. Ce globalisme universel et fraternel, parce qu’il abolirait ou fusionnerait races, langues, nations, sexes et héritages particuliers, a-t-il quelque rapport avec le rêve – puisqu’il dit que c’en est un – que le pape François développe dans Fratelli Tutti ? Il n’est peut-être pas interdit de trouver entre les deux visions mondialistes d’assez substantielles analogies. Et tout de même aussi une opposition de fond : le pape condamne l’idolâtrie de l’Argent et n’est pas tendre pour les formes contemporaines du capitalisme libéral. On lira plus loin sur ce dernier sujet l’analyse d’Alain de Benoist.
L’heure n’est plus à l’empire qui guide, mais aux nations rebelles, qui peuvent poliment refuser les ambitions messianiques de Joe Biden.
Tout heureux de marcher vers la Maison-Blanche, Joe Biden a annoncé, en présentant l’équipe qui le conseillera pour la politique internationale, que l’Amérique pourrait de nouveau «guider le monde » .
On croit comprendre qu’il pensait ainsi annoncer une bonne nouvelle, comme si l’Amérique était la puissance civilisatrice de notre temps. Nul n’en sera surpris : le messianisme américain ne date pas d’hier et structure la politique étrangère des États-Unis, qu’elle se présente sous le signe de la croisade démocratique néoconservatrice des années 2000 ou du multilatéralisme censé orchestrer une forme de gouvernance globale sous les années Obama. Au fond de la conscience américaine se trouve une prétention impériale à l’organisation du monde, qui trouvera sous Joe Biden dans la question environnementale un nouveau prétexte pour se déployer.
L’Amérique se pose comme nation modèle, portant un modèle valable pour l’humanité entière, et n’imagine pas qu’on ne la désire pas dans ce rôle. Elle est la norme à partir de laquelle penser le progrès du monde. Il y aurait ici-bas un American dream. Autrement dit, si le contenu du messianisme américain a changé au fil de l’histoire, la prétention messianique, elle, demeure, et se montre toujours plus agressive. Nous le savons, elle prend désormais la forme d’un appel au multiculturalisme globalisé, chaque nation devant se refonder sur le modèle américain au nom d’une diversité sacralisée. L’Amérique se croit en droit de pratiquer l’ingénierie institutionnelle à l’extérieur de ses frontières. Elle veut remodeler le monde à partir de sa propre expérience.
Joe Biden est souvent associé à une forme de pragmatisme mais il embrasse cette perspective. En 2015, il affirmait: « Des gens comme moi, de race blanche d’origine européenne, pour la première fois, en 2017, seront une minorité absolue aux États-Unis d’Amérique. (…) Moins de 50 % de la population américaine sera dorénavant de race blanche et européenne. Ce n’est pas une mauvaise chose. C’est une source de notre force. » Joe Biden se trompait de quelques années, mais son enthousiasme, n’en doutons pas, était sincère. Pour se conformer au modèle de la démocratie américaine, il faut désormais se soumettre à l’immigration massive, au multiculturalisme et à une refondation diversitaire de l’État occidental où la population native devra se réjouir d’être, à terme, mise en minorité.
La question raciale qui hante l’histoire américaine remonte à la surface à travers une nouvelle obsession racialiste qui vient des campus radicaux et qui s’est accélérée depuis l’affaire George Floyd. Elle est embrassée par l’ensemble des élites administratives, économiques et médiatiques du pays. Et cette révolution diversitaire s’accompagne de concepts comme le « racisme systémique », le « privilège blanc » et « la fragilité blanche », que le soft power américain, qu’il s’exprime par la voie diplomatique traditionnelle ou par l’influence des Gafa et de l’industrie du divertissement, place au cœur de sa propagande. On notera qu’elle se déploie dans bien d’autres domaines, comme c’est le cas avec la théorie du genre et sa définition de l’identité sexuelle. Est-ce à partir de cet idéal que Joe Biden veut que l’Amérique guide le monde ?
On ne sous-estimera pas l’intolérance américaine à l’endroit de ceux qui ne suivent pas le modèle impérial. Comme le notait récemment Emmanuel Macron, la presse américaine mène une campagne de diffamation permanente contre la France. Il ne faut pas oublier que c’est dans les pages des grands journaux américains que les racialistes français reçoivent le traitement le plus favorable, pour ne pas dire le plus complaisant.
L’Amérique, qui plaque partout les concepts tirés de sa propre expérience historique, veut voir chez les immigrés français les cousins outre-Atlantique de sa population noire, marquée par l’esclavage et la ségrégation, quitte à abolir pour cela l’expérience historique des uns et des autres. Le racialisme vient abolir la diversité des cultures. Cette identification abusive excite la conscience victimaire de la mouvance indigéniste qui en vient à prendre l’Amérique comme un modèle en matière de « relations raciales », une idée que même les esprits les plus charitables qualifieront d’excentrique.
Les États-Unis ont tendance à voir de l’arrogance dans le désir légitime des Français de maintenir leur propre modèle de civilisation, notamment à travers le principe de laïcité. Il faudrait plutôt y voir une résistance à un empire qui reprend aujourd’hui les traits de son grand ennemi de la deuxième moitié du XXe siècle et cherche à imposer à ses alliés qu’il traite comme des satellites mentaux de son propre modèle de civilisation. De ce point de vue, la dissidence française, malgré ses limites, est peut-être plus exemplaire qu’on ne le croit. L’heure n’est plus du tout à l’empire qui guide, mais aux nations rebelles, qui peuvent poliment refuser les ambitions messianiques de Joe Biden. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Publié dans JSF à 6h40
Le rêve américain est avant tout, et même uniquement, matérialiste, il attire donc à ce titre tous les peuples déracinés; la volonté des Etats-Unis d’implanter la démocratie, du type « one man, one vote » qui n’est d’ailleurs pas la sienne, provoque dans le monde catastrophes et rebellions contre eux, Irak, Afghanistan, Libye, etc..
Ils ont réussi au Japon car ils ont préservé l’empereur grâce à Mac Arthur, et échoué en Afghanistan pour ne pas avoir rétabli Zaher Shah pour ne prendre que deux exemples. Leur constitution leur tient lieu de monarque mais elle n’est qu’une vache sacrée dont la Cour Suprême est le grand prêtre, diarchie biblique qui imprègne la mentalité américaine. Joe Biden se fracassera sur la réalité d’autant plus qu’il n’a pas le soutien du grand prêtre!
C’est pour cela que la France irrite tant les Etats-Unis quand elle est elle-même, c’est à dire visionnaire respectueuse des peuples, éducatrice comme nous l’a rappelé Saint Jean-Paul II, sa mission passant par sa langue, la seule s’opposant de plus à l’impérialisme de l’anglais.
Je vois bien Joe BIDEN guidé par Barack OBAMA ou Kamala HARRIS ou , faute de mieux, GUIDE par un déambulateur