Par Alain de Benoist.
Alain de Benoist a donné à Boulevard Voltaire (26.11) l’entretien qui suit également paru sur le site Les amis d’Alain de Benoist d’où nous le reprenons ce 28 novembre. Sur tous les aspects relatifs à ce que l’on peut appeler l’empiétement du pape dans la sphère politique du monde actuel, nous sommes globalement sur la même ligne, depuis fort longtemps. Cela signifie que sur différents point, nous le récusons. Notamment en matière de politique migratoire qui ressort des Etats, non du Pape. Dans l’ordre métapolitique, voire théologique, nous reconnaissons dans les analyses d’Alain de Benoist les thèmes et l’argumentation développés par lui-même dans un débat que nous avions nous-mêmes ouvert il y a près de 40 en l’invitant à un dialogue – qui fut d’ailleurs fraternel et éblouissant – avec Gustave Thibon. Nous n’y reviendrons pas ici. Les lecteurs de JSF peuvent s’y reporter avec le plus grand profit.
Le moins qu’on puisse dire est que Tutti fratelli, la dernière encyclique du pape François, n’a pas fait l’unanimité dans le monde catholique. Surtout quand il affirme s’être senti encouragé par le grand imam Ahmed el Tayyeb, rencontré à Abou Dabi. Votre sentiment ?
Venant après Lumen fidei et Laudato si’, la troisième encyclique du pape François se présente comme une interminable admonestation politique qui appelle à « penser à une autre humanité », où chacun aurait le droit de « se réaliser intégralement comme personne ». Cela impliquerait, notamment, le droit des immigrés à s’installer où ils veulent, quand ils veulent et en aussi grand nombre que cela leur convient. C’est ainsi qu’on jetterait les bases de la « fraternité universelle ». Le pape a apparemment oublié que l’histoire de la fraternité commence mal, en l’occurrence avec le meurtre d’Abel par son frère Caïn (Gn 4, 8).
Cela dit, le pape François a des arguments théologiques à faire valoir. Dans le monothéisme, le Dieu unique est le « Père » de tous les hommes, puisque tous les hommes sont appelés à l’adorer. Tous les fils de ce Père peuvent donc être considérés comme des frères. C’est le fondement de l’universalisme chrétien : le peuple de Dieu ne connaît pas de frontières. Les différences d’appartenance, d’origine ou de sexe sont insignifiantes aux yeux de Dieu : « Il n’y a ni Juif ni grec, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ » (Ga 3, 28). L’homme appartient à l’humanité de façon immédiate, et non plus, comme on le considérait dans l’Antiquité, de façon médiate, par l’intermédiaire d’un peuple ou d’une culture (pour le pape, le peuple est une « catégorie mythique »).
Quand on déclare considérer quelqu’un « comme un frère », la référence est évidemment le frère réel, le frère de sang. Rien de tel chez François qui peut, ici, se réclamer de l’exemple de Jésus dans l’un des plus célèbres épisodes des Évangiles. La famille de Jésus se rend auprès de l’endroit où il prêche afin de se saisir de lui, considérant qu’il « a perdu le sens (elegon gar oti exestè) » : « Il y avait une foule assise autour de lui et on lui dit : “Voilà que ta mère et tes frères et tes sœurs sont là dehors qui te cherchent”. Il leur répond : “Qui est ma mère ? Et [qui] mes frères ?” Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit : “Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère” » (Mc 3, 20-35). La supériorité de la fraternité spirituelle sur la fraternité biologique est très clairement affirmée. Destitution du charnel au profit du spirituel, de la nature au nom de la culture, du sang au profit de l’esprit.
C’est dans cet esprit que le pape François ne veut, dans l’immigration, que considérer l’intérêt des migrants. Il l’avait déjà dit auparavant : pour lui, « la sécurité des migrants doit toujours passer systématiquement avant la sécurité nationale ». La sécurité des populations d’accueil passe après. François met, ici, ses pas dans l’Épître à Diognète, lettre d’un chrétien anonyme de la fin du IIe siècle : « Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes […] Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. »
Mais quel sens exact faut-il donner au mot « fraternité » ?
Dans la devise républicaine, la « fraternité » est une valeur morale, pas un principe politique. Si on veut l’utiliser comme principe politique, on va au-devant de tous les contresens. Il y a quelques mois, des juristes n’ont pas hésité à se référer au principe de « fraternité » pour légitimer l’action des passeurs qui font traverser nos frontières à des immigrés clandestins. C’est évidemment une perversion des textes.
Le ressort de la fraternité, pour le pape François, réside dans l’agapè, qui est la forme chrétienne de l’amour. Sa traduction latine par caritas (« charité ») n’en exprime pas tout le sens. L’agapè est avant tout une disposition d’esprit qui doit entretenir l’ouverture à l’Autre quel que soit cet Autre. C’est un amour universel, sans destinataire singulier, un amour pour tout homme au seul motif qu’il est un homme, un amour inconditionnel aussi, qui n’attend rien en retour.
En proclamant que « nous sommes tous frères », François se rallie à une conception totalement irréaliste des rapports sociaux. Il croit qu’il n’y aura plus de guerres quand tous les hommes regarderont « tout être humain comme un frère ou une sœur ». Il croit que la politique se ramène à la morale, qui se ramène elle-même à l’« amour ». Il confond la morale publique et la morale privée, qui ne se situent nullement sur le même plan : accorder mon hospitalité personnelle à un étranger est une chose, en faire venir des millions dans un pays au point d’en altérer l’identité en est une autre. En conclusion, il n’hésite pas à plaider pour une « organisation mondiale dotée d’autorité » qui supprimerait toutes les frontières et toutes les souverainetés nationales.
Cette encyclique est aussi, pour le pape, une nouvelle occasion de critiquer notre système marchand, tout en appelant de ses vœux un « monde ouvert ». N’est-ce pas une contradiction majeure, quand ce n’est pas un appel à la déferlante migratoire ?
C’est, bien sûr, une totale inconséquence, puisque le capitalisme libéral, que le pape François stigmatise par ailleurs – et à juste titre –, ne cesse de réclamer la libre circulation des hommes et des marchandises (« laissez faire, laissez passer »). En bonne logique libérale, rien n’est plus « ouvert » qu’un marché ! Affirmer que les migrants ont droit de s’installer où bon leur semble – Benoît XVI proclamait déjà le « droit humain fondamental de chacun de s’établir là où il l’estime le plus opportun » –, c’est très exactement reprendre un mot d’ordre libéral.
Le pape se contredit encore quand il appelle à abattre les murs, en oubliant que leur fonction première n’est pas d’exclure mais de protéger. En prenant position pour une solidarité sans frontières qui existerait à l’état potentiel chez tous les hommes au seul motif qu’ils sont humains, il montre qu’il ne comprend pas qu’il n’y a de fraternité possible, au sens de la philia aristotélicienne (l’amitié politique et sociale), qu’à la condition qu’elle soit circonscrite dans des limites bien définies. De même le « bien commun universel » n’est-il qu’une illusion : il n’y a pas de bien commun pensable que limité à ceux qui partagent concrètement ce commun, à savoir les communautés politiquement et culturellement présentes à elles-mêmes.
Le pape présente l’humanité unifiée comme un but à atteindre (« rêvons en tant qu’une seule et même humanité »), la cité cosmopolitique comme une rédemption, comme si la division du monde en nations, en cultures et en peuples était un accident historique qu’il serait possible d’effacer. Sa « fraternité universelle » n’est, en fait, qu’un vœu pieux dénué de sens, sous-tendu par l’obsession de l’unique, de la fusion, de la disparition de tout ce qui sépare et donc distingue. Compte tenu de ce que sont les hommes réels, autant prôner la « fraternité » de la gazelle et du lion ! Jean-Baptiste Carrier, en 1793, disait massacrer les Vendéens « par principe d’humanité ». Carl Schmitt, citant Proudhon, ajoutait : « Qui dit humanité, veut tromper. » François trompe énormément. ■
Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
Votre grande culture -félicitations pour cela- est prouvée ici encore. je précise: votre culture évangélique, et même en grec s’il-vous-plaît, votre connaissance des textes des premiers chrétiens.
C’est donc en toute connaissance de cause que vous vous opposez à l’idéal évangélique, au prophétisme du Pape François. C’est évidemment votre droit. J’en ai pris note depuis longtemps.
rené brun demande l’isolement…
A Noël : l’évangile n’est pas un ni un idéal, ni un mode d’emploi (ou une recette,) pour vivre ensemble, cela me semble un total contre sens ; l’évangile est une rencontre inouïe avec le Christ , qui nous hisse au-dessus de nous-même, dans le secret de notre cœur , de notre for intérieur. Il suppose une reconnaissance d’autrui réciproque devant Dieu le Père, qui donne sens à notre destin, que nous proposons à autrui ,non limité à notre personne, le « Tu es reconnu par moi devant Dieu », comme disait Ivanov.
Alain de Benoist a raison de pointer la théologie hasardeuse de François. Quand Ratzinger était professeur, ( il y a longtemps en 1962 il a distingué la fraternité dans le Christ et a déclaré que ce n’est qu’en participant à l’assemblée culturelle eucharistique ( c’est d’actualité ! ) qu’on devient , au sens propre membre de la communauté fraternelle chrétienne. Il la distinguait l’agape la charité qu’ on doit à tout être humain à la fraternité universelle qui est une utopie. Pour le professeur Ratzinger, La fraternité universelle est vide, s’il elle vient d’en bas comme le célèbre hymne de Schiller. C’est par « l’agape selon lui et la souffrance » que le chrétien remplit sa mission universelle.
Il est regrettable que François ne creuse pas la théologie., comme l’a fait Le jeune Ratzinger, toute sa vie. . En exergue de la biographie qui lui consacrée par Peter Seewald , on trouve ces mots de Benoit XVI : « Mon impulsion fondamentale a été de dégager le noyau véritable de la foi, là où elle était enfermée, et de lui donner par ce moyen force et dynamique. Cette impulsion a été une constante de ma vie »
Creuser da foi et ne pas en faire une en idéologie mondaine, est ce- trop demander à son successeur ? ;
A Alain de Benoist quand il note que Benoit XV affirme « le droit humain fondamental de chacun de s’établir là où il l’estime le plus opportun » –il évoque, à mon sens , le droit personnel du chrétien( ou non) de s’établir là où sa vocation l’appelle, ce n’est en rien une justification aveugle de migrations sans contrôle, qui rappellent fâcheusement le droit à l’espace vital ; à la conquête du pangermanisme et ce qui s’est traduit par le non respects des vocations propres à chaque peuple à son histoire, jusqu’à les éradiquer. . Ma vocation commence par le respect de l’autre et son service, sinon elle est destructrice des identités, des peuples et des personnes. .