PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro de ce samedi (5.11). Nous avons placé en exergue de cette réflexion une affirmation essentielle, qui est aussi une distinction. Distinction entre le champ de l’intime (la foi) et celui de la Tradition (Politique et sociale par définition). La conclusion de Bock-Côté est de même importance : « les catholiques français qui se sont battus pour la messe et qui ont remporté cette bataille, ont restauré certaines libertés qui devaient l’être ». Il est, en effet, des degrés, des distinctions, des hiérarchies et des exclusions à opérer à l’égard des libertés. Il en est qu’il faut proscrire. Il en est qu’il faut protéger. Toutes les libertés ne se valent pas. Il n’est pas sans importance de le dire. Au contraire !
Si la foi est et doit demeurer une question intime qui engage la conscience de chacun, celle de la tradition occidentale ne l’est pas
La querelle autour de la messe a animé la vie politique française ces dernières semaines. Sans surprise, la majorité des médias l’a présentée à la manière d’un surgissement au cœur de l’espace public d’un catholicisme « réactionnaire », défiant à la fois les lois de la République et la sécurité sanitaire. La messe serait un caprice de bigotes et de vieux messieurs en loden. Plus encore: ces agenouilleurs compulsifs annonceraient le retour de « l’intégrisme » et ne vaudraient pas mieux que les islamistes occupant l’espace public pour faire des prières de rue. Pour une fois, le slogan pas d’amalgame aurait pu bien servir.
Il est peut-être nécessaire d’aborder cette mobilisation autrement pour la comprendre. La présente crise sanitaire a obligé les sociétés à redéfinir ce qu’elles jugent essentiel. Quels besoins de l’âme humaine sont jugés fondamentaux. Que faire des aspirations spirituelles qui la traversent ? L’existence peut-elle véritablement être mise dans un bocal, en se réduisant à un simple principe de conservation biologique ? Les catholiques n’étaient pas les seuls à se le demander et à s’opposer aux exagérations de la raison sanitaire, mais ils parvinrent à préserver le domaine des libertés publiques au nom d’une cause transcendant le simple appel aux libertés, comme si ces dernières, et c’est bien le cas, ne pouvaient pas reposer sur un vide métaphysique.
Il faut reprendre cette question dans un cadre plus large que la crise actuelle. « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle-même est fait pour servir ». Cette phrase de Tocqueville illustre à la fois la grandeur et les limites du libéralisme. Tocqueville rappelait que la défense de la liberté trouve sa justification en elle-même, et il avait naturellement raison. La quête d’autonomie au cœur de la modernité n’est pas méprisable, au contraire. Mais les innovations sociétales contemporaines nous démontrent qu’elle porte en elle une pathologie qui toujours la hante, et qui se révèle dans le fantasme de l’autoengendrement. On le constate lorsque cette quête d’autonomie bascule dans un refus de l’histoire et des permanences anthropologiques – c’est ainsi qu’on parle aujourd’hui de la division sexuée de l’humanité, maudite par ceux qui voient la liberté humaine culminer dans l’idéal d’une fluidité identitaire absolue.
L’histoire relativement récente de la civilisation occidentale nous confirme que la liberté ne se préserve pas d’elle-même, et que c’est en s’ancrant dans la concrétude de l’existence qu’elle peut modeler la vie des sociétés. À l’échelle de l’histoire française, la rébellion vendéenne de 1793, qui n’était pas étrangère au catholicisme, peut être vue comme une première défense des libertés concrètes des peuples au nom de l’enracinement et du droit de l’homme à résister à sa désincarnation, à la mutilation de ses appartenances. De même, ce n’est pas au nom des seuls droits de l’homme que le général de Gaulle a incarné la patrie en exil, en 1940, mais au nom d’une conception mystique de l’honneur de la France.
Soljenitsyne est le grand dissident du XXe siècle et c’est au nom de l’orthodoxie et du patriotisme russe le plus exigeant qu’il a su tenir tête au communisme. C’est d’ailleurs en se plaçant sous son patronage spirituel et intellectuel que l’intellectuel américain Rob Dreher vient de publier un remarquable ouvrage, Live Not by Lies, pour identifier les bases spirituelles sur lesquelles asseoir la dissidence contemporaine, surtout devant le mouvement « woke » par lequel resurgit la tentation totalitaire. Cette dernière représente ce qu’on pourrait appeler un fondamentalisme de la modernité, animé par le fantasme d’un monde absolument transparent, qui ne serait qu’un artifice social, que l’homme pourrait déconstruire et reconstruire à sa guise, selon les méthodes de l’ingénierie sociale. Elle est portée par une tentation démiurgique qui révèle un homme rêvant d’être à lui-même son propre créateur.
L’homme est un être de médiations, et c’est en se posant la question des fins dernières à travers les questions qui le dépasseront toujours qu’il révèle sa vraie grandeur. Benoît XVI l’avait dit à sa manière lors de son discours des Bernardins en rappelant que les moines qui sauvèrent les humanités classiques après la chute de Rome ne cherchaient pas à sauver seulement ce que nous appelons aujourd’hui la culture. À travers ces textes, ils cherchaient Dieu ou du moins ses traces en notre monde. Si la foi est et doit demeurer une question intime qui engage la conscience de chacun, celle de la tradition occidentale ne l’est pas. L’homme concret, devant l’épreuve, défend bien mieux les libertés que celui qui prétend s’y vouer sans savoir ce qu’il y a de sacré en ce monde. On en revient aux catholiques français qui se sont battus pour la messe et qui en remportant cette bataille, ont restauré certaines libertés qui devaient l’être. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Publié dans JSF à 6h40
Sélection photographique © JSF
René Brun demande encore l’isolement;
la 3e vague arrive!!!
NJBB : Admirable article.Bien sûr la foi c’est-à-dire l’acte de croire, est nécessairement intime. Il est une décision absolument personnelle qui n’engage que la personne et seulement la personne.
Mais cette croyance doit-elle être séparée de la vie politique ? Certainement pas. L’Eglise a toujours tenu à définir la laïcité comme une distinction du spirituel et du temporel. Jamais comme une séparation, selon la dérive moderne qui n’épargne pas certains clercs ; distinction et séparation ne sont absolument pas synonymes. Chacun distingue un homme d’une femme, qui aurait l’idée de les séparer ? César doit rester soumis à Dieu s’il veut garder son autorité et sa légitimité.