PAR PIERRE BUILLY.
Nous avons publié mardi dernier [8.12] un article de Pierre Builly paru dans JSF n°39 de février 1981 à propos du « Précis de Foutriquet », de Pierre Boutang, pamphlet radical anti-Giscard. Voici un autre article de Pierre Builly dans Je suis Français, n°29 de mars 1980, à propos de la Lettre ouverte au colin froid de Jean-Edern Hallier. Naturellement, le colin froid et le foutriquet sont la seule et même personne, c’est-à-dire Giscard.
Sur ce livre, un silence presque total. Quelques articles de journaux, seulement. Pas un mot à la télévision.
Il faut occulter, dissimuler, taire le pamphlet d’un homme qui a eu le front de ne pas, respecter le ronronnement sucré des politesses médiatisées, qui, un jour de juin dernier, en un torrent de fraîches insultes, décapantes, salubres, oxygénées, a osé dire la vérité, et traiter les journalistes des deux chaînes pour ce qu’ils sont : les valets de la politique politicienne, les … de la bande des quatre.
Seulement, Jean-Edern Hallier est un écrivain, un vrai, un grand écrivain, et, lorsqu’il lance la boule fracassante de son indignation au milieu du jeu de quilles de l’établissement giscardien, le pouvoir aseptisé et vaniteux reçoit de bien beaux éclats.
Philippe de Saint-Robert, dont nous parlions le mois dernier, aime la pointe sèche. Hallier choisit le crayon gras, ainsi que l’a excellemment noté Valeurs Actuelles du 14 janvier. Mais tous deux mènent le combat contre l’endormissement, l’avachissement français perpétrés par la mystique de la Société Libérale Avancée.
C’est bien la France qu’il faut défendre, et non je ne sais quel Occident mythique créé de toutes pièces par nos colonisateurs américains, qui ont trouvé après une parenthèse de seize ans, un président selon leurs vœux. Et Hallier, quoiqu’il nous en ait dit, lors de l’entretien qu’il nous a accordé (J.S.F. n° 20 – mai 1979), croit encore profondément en la France et souffre de toute sa passion abîmée par une lâcheté et une veulerie qui lui ont été imposées.
Pourquoi Giscard ? Non seulement parce qu’il est au pouvoir et qu’il symbolise ce pouvoir de l’argent et des bonnes manières qui fait crever un peuple naturellement poussé vers l’héroïsme et la gaieté, mais aussi parce que la personne Même du président est cet argent et ces bonnes manières ; argent propre — ou plutôt « lavé » — et déjà ancien ; manières flûtées à force d’être délicates. « Force singulière de Giscard : les coups qui pleuvent sur l’écaille. Son art suprême : l’esquive par le néant ».
Voilà le colin froid posé. Voilà le ton trouvé. L’invective. Quelque chose qui réchauffe, qui brûle, qui mord même, mais qui vit, surtout, qui a un cœur battant.
Qu’importent, alors, l’outrance, l’injustice, ta calomnie, la violence et la démesure ? Elles sont à la mesure de ce que Hallier combat, de. ce que nous combattons : la petitesse; la mesquinerie, l’hypocrisie, la frivolité, la tiédeur ; en un mot l’économisme ?
Au nom des puissances infinies du cœur et de l’âme, Jean-Eden Hallier déclare la guerre à « ce président lacunaire, ce prince du designing et du néant, ce consensus par le vide, ce parvenu indifférent et enjoué, d’une légèreté tout osseuse, au pétainisme pignoché d’économisme, ce riche fils dé riches. Valéry, fils d’Edmond et petits-fils de Bardoux, perpétuel riche de la troisième génération, celle des vanités ».
Ces gens-là n’appartiennent pas à la France : littéralement, ils n’y tiennent pas. Ils n’ont pas cet amour charnel du sol, des clochers; de la langue, parce qu’ils ont trouvé une fois pour toutes, leur voie, leur habit : cosmopolites membres d’une internationale de « gens bien élevés », comment leur demander de susciter ce sursaut culturel qui nous fait tant besoin ? Comment leur demander de maintenir (de maintenir seulement, nous ne sommes pas exigeants, puisque nous sommes en République) notre indépendance nationale ?
Hallier éructe, à ce propos de biens belles pages furieuses : « Il suffit que Carter vous sonne pour que vous y alliez le plumeau sous un aileron, le plateau sous l’autre (…). Et si vous n’apportez pas vous-même votre petit déjeuner aux grands, les croissants et le café au lait, c’est votre sous-fifre, le Poncif (Jean-François Poncet) qui se fera rembarrer par le marchand de cacahuètes Carter, lui accordant tout juste un quart d’heure d’entretien ».
« Mannequin inconsistant, poisson-modèle' », Giscard est l’homme à qui l’on ne peut s’opposer. JI n’est rien. Le néant, l’inexistence. L’homme de la mode et de la frivolité, si magnifiquement adapté à l’insuffisance d’un temps fatigué, d’un peuple que deux siècles de démocratie sont parvenus à rendre à la fois geignard et soumis. Comme Hallier, nous avons « honte de cette vacuité, de cette nation en creux par où s’écoulent toutes les passions, ces accus qui vivent au goutte-à-goutte de notre dépossession ».
Hallier, pour en sortir, appelle à la révolte culturelle. Parce qu’il n’y a finalement que ça qui l’intéresse. Et il a bien raison.. Saoulés d’économisme, gavés de taux de croissance, barbouillés de raisonnements trop rationnels pour être raisonnables, nous sommes quelques-uns, en France, à en avoir plus qu’assez de ce monde moderne débile et feutré, dans lequel « l’intelligence, dégoûtée, désertant le forum, c’est la bêtise qui s’est emparée des affaires publiques ». La bêtise s’occupe de nous, se penche sur nous avec sollicitude, intervient continuellement dans nos affaires et — c’est là l’essence même de la politique politicienne — nous contraint à réagir en fonction d’elle. Obligés par le credo démocratique à consacrer le meilleur de nous-mêmes à des questions qui ne sont ni de nos compétences, ni forcément de nos goûts, nous sommes artificiellement dressés les uns contre les autres par des problèmes qui devraient être réglés sans intervention aucune de l’opinion publique, par un pouvoir réellement souverain.
Maurras déjà, au début du siècle, où l’interventionnisme étatique était
moins puissant, moins virulent qu’aujourd’hui, déplorait cette situation. Que dirait-il aujourd’hui où nous ne pouvons plus faire un pas sans buter sur le – carcan des règlements ?
Dans cette optique, la protestation d’Hallier rend un son singulièrement proche de nos idées : « Je fais de la politique pour qu’on n’en fasse plus, ou plutôt pour qu’on la réinvente. Puissent les années à venir permettre à des hommes de ma trempe, des esprits libres, dépourvus de toute vénalité, et n’ayant ni le goût des roublardises ni les contraintes qu’il y faut, de quitter ce combat douteux, et d’exercer ailleurs leur violence ».
Contre l’anesthésie, contre la torpeur suscitée par le colin froid,
voilà une part de solution : l’appel à la culture. Contre l’économisme, fausse science dont on commence bien à voir qu’elle est source de nos maux, Hallier lève haut et bien le drapeau de la littérature. Il sait le manier. Il y a, toutes proportions gardées, du Chateaubriand, chez lui, même si la « lettre ouverte » est placée sous l’invocation du Victor Hugo des « Châtiments ». La comparaison ne doit pas faire sourire. Hallier est en train de prouver qu’il est réellement ce qu’il proclame être depuis toujours : un des grands écrivains de sa génération. ■
À lire dans JSF nos publications après le décès de Giscard
Giscard : une politique de « modernisation » tout compte fait néfaste pour la France
Giscard président : quelle a été alors notre position, notre analyse, notre ligne politique et militante ?
Boutang – Giscard… Ce ne fut pas le grand amour.
Giscard l’immortel
In memoriam Valéry Giscard d’Estaing : À propos du « Précis de Foutriquet »
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Si je comprends bien, cet article a 40 ans. Quelle actualité ! Quelle constance dans votre jugement ! Bravo !
Le très révolutionnaire,Hallier ami du peuple n’a pas trouvé non plus « son » président avec Mitterrand. Je me souviens de lui se plaignant d’être espionné et jetant des livres par terre en signe de mépris.
Hallier, que nous avons rencontré pour JSF, était un fou talentueux qui cherchait un Roi Qui ne l’a pas trouvé. C’est tout. Que penserait-il aujourd’hui, s’il n’était mort en 1997 ?