PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Emmanuel Macron plaide pour des noms de rues plus représentatifs de la « diversité ». Cette proposition, qui se veut « inclusive», est n’a rien d’évident.
Cette tribune est parue dans Le Figaro de ce samedi (13.12). Nous comprenons bien l’analyse du processus diversitaire en cours qu’y donne Mathieu Bock-Côté et nous partageons sa réaction critique aux tendances et aux déciosins dites inclusives d’Emmanuel Macron. Mais sans-doute faut-il aller plus loin. Pour être simples, nous dirons qu’il y a, pour nous, ceux qui adhèrent et ceux qui n’adhèrent pas aux propos tenus par de Gaulle à Alain Peyrefitte le 5 mars 1959, propos d’ailleurs, repris par leur auteur en termes quasiment identiques dans les Mémoires d’espoir : « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. » (Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, 1994). Il serait tout de même particulièrement inconséquent, sur un sujet de cette importance, de tenir pour irrecevable cette définition de Charles de Gaulle à qui tant d’hommages unanimes viennent d’être rendus, y compris par l’actuel Chef de l’Etat, pour le 50éme anniversaire de sa mort.
La disqualification de la France historique, réduite à la figure du beauf, a accouché d’une définition de la nation n’ayant plus rien à voir avec les mœurs du pays.
Emmanuel Macron croit manifestement encore aux vertus du « en même temps ».
S’il tient bon lorsqu’il faut défendre la liberté d’expression contre l’islamisme qui voudrait imposer sa définition du blasphème, il se montre complaisant devant les communautarismes dont il faudrait assurer une meilleure « représentativité ». Ainsi, il a fait savoir, dans le cadre de son interview fleuve au média en ligne Brut., que le gouvernement présenterait une liste de plusieurs centaines de personnes issues de la « diversité » pour les intégrer au paysage visuel français, en invitant les maires à leur consacrer des noms de rues et des statues.
La proposition, qui se veut « inclusive », est moins évidente qu’il n’y paraît. Ce n’est évidemment pas le fait qu’on veuille reconnaître la valeur de Noirs ou d’Arabes qui cause problème, mais qu’ils soient choisis en tant qu’échantillons représentatifs de catégories ethniques, comme s’ils devaient être réduits à leurs origines ou condamnés à les brandir en étendard jusque dans la tombe. N’y a-t-il pas un problème à vouloir les représenter en tant que Noirs ou en tant qu’Arabes ? Faut-il vraiment transformer ces figures à honorer en chair à quota ? Faut-il supposer que l’univers symbolique français est « trop blanc » ?
Car cette logique a son envers : s’il faut désormais voir Alexandre Dumas comme un écrivain métis, faudra-t-il présenter Balzac comme un écrivain blanc ? Et que fera-t-on des écrivains de langue française mais d’origine étrangère, comme Cioran ? Eux qui faisaient la fierté de la langue française et témoignaient de son appel universel, ne sont-ils finalement que des Blancs parmi d’autres, dans cette nouvelle géométrie mentale qui se présente comme le fondement d’une justice raciale réinventée ? Le racialisme vient pervertir le principe même de représentation. Cette manière de penser la société entre en contradiction avec les schèmes qui fondent la culture française. Et la logique diversitaire étant ce qu’elle est, on verra inévitablement les minorités à représenter se multiplier. Celui qui prend la pose du minoritaire dispose aujourd’hui d’une prime symbolique dans l’espace public. Je suis une victime de l’homme blanc donc je suis: c’est ainsi qu’on parvient à surplomber moralement ses contemporains.
Certains veulent voir dans ce racialisme une dénaturation ou une perversion de l’antiracisme. On se rappelle avec émotion l’antiracisme des années 1980 ou même celui de la France « black-blanc-beur » de 1998 qui était censé montrer l’exemple d’une France réconciliée avec tous ses enfants pour mieux se désoler de l’antiracisme indigéniste qui trierait entre Blancs et racisés.
Ce récit ne correspond toutefois pas à la réalité et il vaut la peine de relire le Voyage au centre du malaise français de Paul Yonnet paru en 1993 pour s’en convaincre. Yonnet remarquait que la logique des communautarismes était enclenchée dès qu’on pouvait exalter l’appartenance raciale. Le nouveau discours dominant voulait que les autorités puisent leur légitimité non plus dans le peuple français mais dans la diversité engendrée par les vagues migratoires. Telle serait la France à laquelle il faudrait porter allégeance.
Autrement dit, l’antiracisme des années 1980 posait les bases de celui des années présentes en assimilant critique du racisme et critique de la nation, dont il ne tolérait plus qu’une définition minimaliste. La disqualification de la France historique, réduite à la figure du beauf, a accouché d’une définition de la nation n’ayant plus rien à voir avec les mœurs du pays. Il s’agissait d’établir une citoyenneté exclusivement universaliste, tenant dans les seules valeurs de la République. Il y avait là une grave méprise anthropologique : l’homme n’accède jamais à l’universel qu’à travers des médiations particulières.
Lorsque la nation se désymbolise et se désubstantialise, elle ne fait pas disparaître le besoin d’appartenance mais l’amène à se rabattre sur des formes primaires, l’identité raciale étant la plus virulente d’entre elles mais n’étant pas la seule. La désincarnation angélique pose les bases du communautarisme régressif.
De ce point de vue, l’antiracisme des années 1980, qui n’était finalement qu’un « antinationisme », a contribué à déconstruire les conditions même de la prétention à l’universel au cœur de la culture française. L’immigration massive a ensuite créé la base démographique nécessaire à l’émergence d’un racialisme de plus en plus conquérant et contre lequel il faut faire barrage. Les Français issus de l’immigration ont vocation à s’approprier l’histoire de leur pays et pas seulement à condition de le voir se plier au principe de l’ethnicisation de la représentation. Il y aura assurément parmi les figures honorées par la nation des Français noirs et arabes, et c’est très bien. Mais ils n’auront pas la vocation d’y représenter une case ethnique particulière. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Publié dans JSF à 4h30
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