Par Marc VERGIER.
La Doctoresse Rubirolla m’a « sidérer ». Rien qu’à l’écouter ce 15 décembre : « J’ai dû subir en septembre une intervention chirurgicale et j’ai été transparente à ce sujet ». Comment peut-on ainsi, maire d’une grande ville et docteur en médecine, polluer la langue, le discours, l’expression.
Transparente ? C’est tout ce qu’elle trouve à dire alors que ça ne veut rien dire. Cette transparence, devenue un mot clé de la politique, me donne des boutons. Le glisser dans la conversation pour faire chic, d’accord ; mais le substituer, comme les synthétisant tous, aux explications, reddition de compte, bilans, justifications, motivations, etc. normalement attendus d’un responsable public, ça dépasse toutes les bornes imaginables. Ariane Chemin, du Monde, le reconnaît elle-même : « Je prêche la transparence, on sait qu’elle a des problèmes de santé depuis très longtemps mais on n’a jamais su quoi. Moi je pense qu’il faut être transparent » (cité par Gala.fr). Transparence ? c’est donc aussi tout ce que demande une grande journaliste du prestigieux Monde. Et la vérité, la précision, l’honnêteté, la franchise, la cohérence … ? On n’attend évidemment pas de la patiente Rubirolla qu’elle nous montre ses radios, mais qu’elle explique comment elle a pu se présenter à une élection dans un tel état, avec les arrière-pensées qu’on connaît maintenant, « tu sais bien que je ne suis là que pour trois mois ». On a aussi le droit de savoir pourquoi les membres de sa liste se sont prêtés à ce tour de passe-passe. Et sa profession de foi de candidat, que disait-elle ? Le 15 mars, j’aurais siégé plus de douze heures au bureau de vote de son quartier, exposé au virus, pour çà ! Si transparence a jamais eu un sens applicable à la vie publique, c’est le contraire absolu qui est fait sous nos yeux, derrière le voile opaque du mot, derrière le masque.
Disons-le une fois pour toutes : la transparence ne signifie rien d’autre que le refus de se plier aux normes traditionnelles de l’expression honnête, la volonté d’éluder, de cacher, de tromper, de mystifier, de brouiller les pistes. La paresse elle-même ne saurait justifier son emploi. Des exemples ? Une décision, un verdict ne sont jamais transparents, au mieux sont-ils motivés, justes, compréhensibles ; un compte-rendu, un bilan ne sont pas transparents, au mieux clairs, complets, loyaux, sincères… Il y a pléthore d’emplois frelatés de cette fausse notion de transparence, avec d’autres, d’ailleurs, chacun le voit.
Un livre paru aux USA nous éclaire un peu sur ce phénomène. Writing Politics, an anthology par David Bromwich, professeur de littérature à Yale. Je n’ai lu que la recension de ce livre faite par Sam Sackeroff dans la Los Angeles Review of Books du 27 novembre . On y apprend que, selon Tocqueville, « la stratégie première et la plus communément adoptée par les nations démocratiques pour fabriquer des nouvelles expressions consiste à donner un sens inhabituel aux mots de tous les jours… En dédoublant le sens d’un mot, les Américains confèrent à l’ancien sens l’ambiguïté née du sens nouveau… créant comme un nœud d’idées » [ma retraduction de l’anglais]. Je pense à la belle image du Sicilien Leonardo Sciacia, dans le Jour de la Chouette, pour le discours de la Mafia , celui des « quaquaraquà » : l’envers d’un broderie. Loi du silence rimant avec notre transparence.
La « transparency », plutôt, copiée, comme d’habitude, des Américains pour plus de prestige, de prestidigitation. Sam Sackeroff rapporte une autre belle image de Randolph Bourne : « agiter en permanence les eaux intellectuelles pour empêcher toute glace de se former » et laisse le verdict à Michael Walzer : « prendre ses symboles dans la culture d’avant-garde du moment transforme la politique en un exercice élitiste de communication ésotérique ». Mis à part le mot culture, on ne saurait mieux dire. La transparence sans la lumière c’est l’obscurité.
David Bromwich montre une nette opposition entre deux types de discours politiques, ceux qui brouillent la langue avec les mots à demi-contre-emploi (pour ainsi dire) répétés mécaniquement, comme par un hypnotiseur et ceux qui s’appuient sur la tradition pour en renforcer et enrichir la puissance de conviction et d’adhésion populaire. Pour illustrer ceux-ci, il évoque Martin Luther King et ses articles et discours nourris de références évangéliques et leur impact immensément supérieur. A nous de choisir ! ■
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source .
M’a « sidéré » serait mieux…mais l’article rattrape la faute d’orthographe qui semble à la mode dans tous les médias actuellement. ( Il est vrai que les ordinateurs ne corrigent pas les erreurs de grammaire )
Le cas de cette doctoresse est révélateur de l’évolution du profil des médecins depuis bien des années . Les scientifiques ayant pris la place des littéraires par le biais de l’utilisation des épreuves à caractère scientifique pour les sélectionner dans le cadre du fameux « numerus clausus » , le soucis de l’ expression est devenu secondaire .
C’est le mérite , imprévu , de toutes ces émissions sur la Corona de montrer la façon de parler des médecins invités de plateaux TV , sauf rares exceptions : on fait le « job » , on envoie Papi et Mamie à la cuisine pour déguster la bûche de Noel ( un professeur de médecine tout de même ! ) etc .
ok