PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
La résistance à la tyrannie des blouses blanches sera joyeuse, une fois la pandémie vaincue…
Cette tribune est parue dans Le Figaro de ce samedi (19.12). Prenant exemple de Chesterton, elle enseigne la force et la capacité de perpétuelle renaissance de la vraie vie. Inutile ici de commenter davantage, Simplement lire son hymne bref mais puissant, concret, aux charmes de cette vraie vie incarnée dans nos héritages divers.
Faire de la vie un banquet, lever nos verres, en prendre un de plus, manger pour le plaisir les plats de nos pays, chanter avec nos camarades des chansons gauloises…
Depuis quelques années, G. K. Chesterton (1874-1936) a retrouvé une place honorable dans la vie éditoriale française.
Longtemps, Philippe Maxence fut bien seul à garder sa mémoire, avec intelligence et piété. Alain Finkielkraut lui avait aussi accordé une très belle place dans L’Ingratitude, dès 1999, en mettant ses lecteurs sur sa piste. Chesterton savait révéler l’absurdité des temps modernes, avec des formules qui frappent l’esprit et font s’esclaffer. Au terme d’une année marquée par l’hystérie covidienne et le sectarisme «woke», il n’est pas insensé de se tourner vers lui, pour faire une pause des fous.
Au cœur de la philosophie chestertonnienne, qu’on trouve le mieux exprimée dans Hérétiques et Orthodoxie, se trouve une confiance inébranlable en l’homme ordinaire. « Par inclination, écrivait-il, je suis plus tenté d’accorder foi à la masse des travailleurs qu’à cette classe fermée de littérateurs ennuyeux à laquelle j’appartiens. » Mais l’homme ordinaire ne se contente pas d’une existence morne, prosaïque. « La matière du pragmatisme est le besoin de l’homme ; et l’un de ces premiers besoins humains est d’être quelque chose de plus que pragmatique .» Il aime les contes de fées, et veut y croire, et sait au fond de lui-même que l’existence est une aventure poétique. Si Aristote plaçait l’étonnement à l’origine de la philosophie, Chesterton y loge quant à lui l’émerveillement, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, mais ce qui n’est pas pour autant faux.
Le rationalisme laissé à lui-même rend fou et se montre incapable de comprendre les contradictions fécondes de l’âme humaine. L’homme ordinaire, disait-il, «est plus soucieux de vérité que de logique. S’il voit deux vérités en apparente contradiction, il les adopte toutes deux avec leurs contradictions. […] C’est ainsi qu’il a toujours cru à quelque chose comme le destin et à quelque chose comme le libre arbitre. » Qui embrasse cette posture chestertonnienne se vaccine contre la tentation idéocratique qui voudrait faire tenir le monde et l’homme dans un système exclusif, étanche à tout ce qui pourrait le contredire. «La marque de folie la plus évidente et la moins contestable, disait-il, est cette combinaison de plénitude logique et de rétrécissement de l’esprit.» On y verra la puissance de l’idéologie, qui crée un monde parallèle et nous oblige à y évoluer.
On retrouve ici l’esprit universitaire voué à la déconstruction de toute chose. « Le fou […] n’est pas celui qui a perdu sa raison. Le fou est celui qui a tout perdu, sauf sa raison. » La folie rationaliste pousse à un subjectivisme absolu. Comment ne pas avoir cela à l’esprit dans un monde qui voit un scandale dans le fait de rappeler que les femmes ont des menstruations et que les hommes n’en ont pas ? «Nous sommes en voie de produire une race d’hommes trop modestes mentalement pour croire à la table de multiplications.» Nous sommes aussi en voie de produire un monde qui remplace le critère de vérité par le critère de conformisme idéologique. Le régime dans lequel nous vivons nous force à nommer chaque chose par son contraire, et à célébrer ce qui nous étouffe.
Chesterton était aussi, et pour notre plus grand bonheur, un chantre de la camaraderie, des pubs, des soirées qui se prolongent, des discussions viriles où la passion se mélange toujours à un soupçon de mauvaise foi! Ces plaisirs simples, le Covid nous les a volés, et l’expertocratie sanitaire voudrait les suspendre durablement, une fois la pandémie terminée, comme si la vie devait se confondre avec un simple principe de conservation biologique. La résistance à la tyrannie des blouses blanches sera joyeuse, une fois la pandémie vaincue. Il faudra boire, manger, combattre, fêter et prier avec ses amis, en transformant son bref passage sur terre en une croisade qui soit aussi un banquet. L’homme qui veut se préserver exagérément de la mort en viendra finalement à se préserver de la vie, tout en la désirant de loin, en macérant dans son ressentiment puritain.
Oui, Chesterton nous invite à faire de la vie un banquet, à lever nos verres, à en prendre un de plus, à manger pour le plaisir les plats de nos pays, à chanter avec nos camarades des chansons gauloises, à maudire les abrutis qui nous postillonnent leurs doctrines stériles au visage, à gonfler le torse en se rappelant les belles pages de l’histoire de nos pays et à pleurer à chaudes larmes à l’idée qu’ils pourraient disparaître. Avec cette année qui se termine, où des bureaucrates tatillons se seront même permis de programmer les tablées du réveillon, on se tournera vers ce gros et joyeux Anglais qui, en se frappant sur la bedaine, nous rappelle que la vie grouille, qu’elle bouille, et qu’elle saura renaître contre le fantasme d’une existence standardisée, diminuée et diluée. Que vienne enfin le banquet des déconfinés ! ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Publié dans JSF à 4h30
Sélection photographique © JSF
Jubilatoire!
Jubilatoire
Merci pour ces perles chestoriennes qui soulagent de l’hystérie covidienne , du sectarisme «woke»et de l’expertocracie santaire :
[…] L’homme ordinaire, disait-il, «est plus soucieux de vérité que de logique.[…] On retrouve ici l’esprit universitaire voué à la déconstruction de toute chose. « Le fou […] n’est pas celui qui a perdu sa raison. Le fou est celui qui a tout perdu, sauf sa raison. » La folie rationaliste pousse à un subjectivisme absolu. Comment ne pas avoir cela à l’esprit dans un monde qui voit un scandale dans le fait de rappeler que les femmes ont des menstruations et que les hommes n’en ont pas ? »[…] un monde qui remplace le critère de vérité par le critère de conformisme idéologique.[…] comme si la vie devait se confondre avec un simple principe de conservation biologique. » 🍹🫕🥃🍣