Guillaume Roquette a raison, disons-nous. Enfin au moins dans sa partie critique envers l’Europe dite de Bruxelles. Il a raison de rejeter le concept de souveraineté européenne. Raison encore de discerner cette sorte de volonté de revanche qui anime la technocratie européenne après le Brexit. Et l’ampleur de sa contre-attaque. Mais il a tort de la conforter en nous déclarant « bien contents que Bruxelles mutualise l’achat de vaccins, emprunte l’argent nécessaire pour nous sortir de la crise actuelle ou hausse (enfin) le ton dans les négociations commerciales avec la Chine et les États-Unis ». Que sait-il de notre contentement ou pas ? Sur tous ces points une action concertée des Etats auxquels tout se ramène toujours, eût été, serait encore, possible. Sans besoin de commissions ni de super technocrates qui ne rêvent que de les supplanter, et ne raisonnent qu’en termes de supranationalité. En négligeant cet antagonisme entre deux conceptions de l’Europe, Guillaume Roquette fait du Macron. Il ne choisit pas, malgré les bonnes intentions d’un article qui cependant reste intéressant. [Figaro Magazine du 29décembre]
Par Guillaume Roquette
L’actualité peut aveugler. Obnubilés par l’actualité sanitaire, les Européens ne se préoccupent guère du Brexit, surtout depuis qu’on a découvert outre-Manche une souche mutante du coronavirus.
Et pourtant, le départ imminent du Royaume-Uni de l’Union européenne est sans doute un événement de plus grande portée historique que la pandémie de Covid-19 : à ce jour, nous avons trouvé le vaccin contre le Sars-CoV-2 mais pas contre l’euroscepticisme. Après le non au référendum de 2005, la crise des migrants de 2015, l’émergence de partis populistes sur tout le continent et l’arrivée au pouvoir de régimes « illibéraux » dans les pays de l’Est, le retrait des Britanniques qui sera effectif dans quelques semaines démontre que le projet européen, comme les civilisations, peut mourir.
Cela semble incroyable quand tout le monde ou presque reconnaît que l’Europe est l’échelon pertinent de puissance, le seul projet stratégique valable face aux empires chinois et américains. Il n’est qu’à voir le bras de fer actuel avec les géants du digital : nul ne sait si Thierry Breton arrivera à faire accepter aux Google, Amazon et autres Facebook nos règles élémentaires de savoir-vivre (coopérer avec la puissance publique, respecter ses fournisseurs et ses clients, payer ses impôts…), mais personne n’ignore qu’aucun pays du Vieux Continent ne pourrait y parvenir isolément. De la même façon, nous sommes bien contents que Bruxelles mutualise l’achat de vaccins, emprunte l’argent nécessaire pour nous sortir de la crise actuelle ou hausse (enfin) le ton dans les négociations commerciales avec la Chine et les États-Unis.
Le problème est que l’Union européenne ne se contente plus de protéger du mieux qu’elle peut ses ressortissants par une coopération économique et monétaire efficace. Après les avoir submergés de réglementations, elle entend désormais bouleverser leurs vies en faisant advenir une « souveraineté européenne », ce projet politique qui envoie aux oubliettes les anciennes frontières, les cultures propres et les choix des peuples. L’Europe se croit ainsi légitime pour imposer une immigration à des pays qui n’en veulent pas, pour mettre au pas des gouvernants hongrois ou polonais pourtant démocratiquement élus ou pour refuser de reconnaître nos racines chrétiennes. Les principaux dirigeants européens, à la Commission comme à Paris ou à Berlin, sont convaincus que le scepticisme des peuples sera vaincu par davantage d’intégration et de transferts de souveraineté. Ils veulent en finir avec la règle de l’unanimité pour forcer la main des récalcitrants. Bref, ils croient que toujours plus d’Europe sauvera l’Europe, comme si ce n’était pas cette fuite en avant qui avait justement décidé les Britanniques à quitter le navire. ■
Guillaume Roquette
Directeur de la rédaction du Figaro Magazine