Par Philippe Bilger
Du vendredi 31 décembre 2020 au 3 janvier 2021, la bêtise et la violence ont frappé encore plus gravement que d’habitude. À la rave party de Lieuron, et à Aulnay-sous-Bois dans la cité des 3 000. [Causeur, 5 janvier 2021]
Il est insupportable que les délinquants gagnent à tout coup !
Ici une free party dispersée seulement au bout de 36 heures.
Un énorme matériel. Une organisation programmée, structurée. Des gendarmes blessés, de la drogue, au moins 2 500 personnes se moquant des précautions sanitaires et de diffuser le virus, l’arrogance de l’un des organisateurs se disant prêt à recommencer, un seul individu déféré au parquet de Rennes contre lequel, paraît-il, une instruction étant ouverte, la détention sera requise. Bref, un scandale de laxisme et d’impuissance.
Le Coran, ça part en couille! Nique-le sa race!
Là, deux motards de la CSI 93, effectuant un contrôle routier, sont gravement agressés par une bande d’une quinzaine de voyous. Les policiers sont hospitalisés. Leur hiérarchie a exprimé son soutien – quel baume pour eux ! – et les agresseurs, dont l’un a déjà été interpellé, sont recherchés.
Ces deux épisodes sont caractéristiques d’une France dévoyée. La sécurité et le civisme sont au rancart, relégués, abandonnés. Il est impossible de demeurer indifférent face à ces scènes de la vie que j’ose qualifier d’ordinaire.
Sans doute, magistrat, ai-je trop plaidé en faveur de l’état de droit quand la société le permettait encore. Aujourd’hui, le monde le rend vain, presque ridicule. C’est une abstraction sur des réalités épouvantables. Le débat ne peut se contenter de se situer au niveau de la lutte contre le terrorisme puisqu’en amont, la France n’est même pas capable d’assurer la sécurité ordinaire de ses citoyens et de ceux qui sont chargés d’y veiller, de faire respecter ses lois partout et tout le temps.
Qu’on me pardonne mais je devine par avance ce qu’on va me répliquer et qui ne doit plus avoir cours. Non, la société n’est pas coupable, non, la jeunesse n’est pas une catégorie d’âge qu’on doit mépriser à force de complaisance aveugle, non, les cités ne doivent pas être traitées à part, non, cela ne change rien qu’ils soient Français ou étrangers, en situation régulière ou illégale, non, Mediapart n’aura pas raison en affirmant que la police était coupable et les jeunes de Leurion des révoltés, non, il n’y a pas une fatalité de l’air du temps qui rendrait inefficace toute action, non, l’autorité de l’Etat n’est pas impossible à instaurer ou à restaurer, non, la France ne devrait pas être impuissante face à sa part dévoyée, non, l’humanisme n’est pas forcément une bénédiction octroyée à ceux qui le foulent aux pieds.
Ce qui a suscité mon exaspération est d’une part la honte que chacun de nous doit éprouver face à la lenteur faiblarde et vaudevillesque ayant tant bien que mal mis fin à la free party et d’autre part la certitude, si on demeure dans nos chemins usuels, d’un hiatus déprimant, infiniment long, mollement répressif (dans le meilleur des cas) entre ces réalités insupportables et leur traitement judiciaire. Mes mauvaises pensées se rapportent surtout à ce dernier point. Monte en moi une aspiration à l’ordre, une volonté de gestion expéditive, un désir de manu militari qui, pour Lieuron par exemple, n’auraient même pas nécessité cette multitude bureaucratique d’amendes mais l’expulsion immédiate de tous ces transgresseurs irresponsables et contents d’eux. J’entends bien que d’une certaine manière la France devrait s’inventer moins précautionneuse, plus ferme, plus assurée de son bon droit et de ses devoirs, plus réactive face à ce qui la trouble ou qu’elle attend (les vaccins), moins soucieuse des formes et des garanties qui au fond donnent bonne conscience à son impuissance.
La démocratie ne doit pas avoir peur de sa force
Il est insupportable que les délinquants gagnent à tout coup. Parce que nos réponses sont trop douces et limitées pour des malfaisances ne s’assignant aucune limite. Quand on aura appréhendé, si on y parvient, la plupart (tous, ce serait inconcevable !) des voyous d’Aulnay-sous-Bois, il y aura les dénégations, la mauvaise foi, les dissimulations à cause des difficultés de la preuve individuelle (au lieu de revenir au bon sens d’un collectif solidairement fautif), la lenteur des investigations, la phase judiciaire, le temps qui passera, un ou deux mis en cause, en définitive et au mieux, renvoyés devant le tribunal correctionnel, de faibles sanctions parce que l’effervescence indignée d’Aulnay en date du 3 janvier sera devenue une tiède et molle dénonciation, presque un oubli. Alors que ces délinquants, dans tous les cas, méritent autant d’énergie pour leur appréhension qu’on en met dans des affaires médiatiquement et politiquement signalées, un traitement urgent, non bureaucratique, des évidences de leur implication, un jugement à la hauteur de la gravité intrinsèque de ce qu’ils auront perpétré en bande et une exécution de leur peine jusqu’au terme avec moins de pleurs sur la prison que d’obsession de sauvegarder, grâce à elle, policiers, citoyens, honnêtes gens.
Rien n’est encore perdu. On peut toujours arracher l’humanisme des mains de ceux qu’il protège injustement, abusivement, pour en faire don à une démocratie métamorphosée qui n’aura plus peur de sa force puisqu’elle la saura légitime.
Magistrat honoraire, président de l’Institut de la parole, Philippe Bilger a été plus de vingt ans avocat général à la Cour d’Assises de Paris. Auteur de très nombreux ouvrages, il a publié Moi, Emmanuel Macron, je me dis... (éd. du Cerf, 2017). Il est président de l’Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.
Si la rave-party de Lieuron a pu avoir lieu c’est que l’on a laissé faire parce qu’un tel rassemblement ça na s’improvise pas, ça se voit tous ces gens en un seul endroit. Les autorités locales, voire plus, en sont responsables.