Par Philippe Mesnard.
Macron a donc inventé le pays surréel
J’aurais aimé ne pas vous parler de Macron. Mais c’est compliqué.
Il représente un fait nouveau en France : le Schtroumpfissime. Démagogue élu sur la foi de promesses aussi magnifiques qu’imprécises, se transformant en apprenti dictateur, tentant de gouverner sans tenir compte ni des lois fondamentales, ni des élus, ni du peuple, ni de l’histoire, ni des frontières ; ce qui fait quand même beaucoup de choses supprimées pour faciliter l’exercice du pouvoir. On jurerait ces théories économiques parfaites qui supposent des agents impeccablement rationnels jonglant avec trois variables pour optimiser leurs décisions. C’est beau comme une épure mais c’est assez loin de la réalité.
Macron a donc inventé le pays surréel où des citoyens tirés au sort remplacent le parlement pendant qu’un chef de guerre autoproclamé annonce chaque jour, simultanément, que tous ses combats passés ont été des victoires et que la défaite évidente est du seul fait de ses troupes. Il vit un rêve éveillé et se promène avec fièvre dans un paysage ectoplasmique que sa parole fait naître et qui se dissipe derrière lui. Il affirme que tout ce qu’il a dit a été mal compris et que toutes ses promesses sont des actes de foi décisifs qui ne peuvent se réaliser qu’à condition qu’on le croie, lui qui a fait don de sa personne à la France : « Moi je fais la guerre le matin, le midi, le soir et la nuit, a martelé le président de la République lors d’échanges téléphoniques avec des interlocuteurs de tous horizons. Et j’attends de tous le même engagement. » (Le Journal du Dimanche, 3 janvier 2020). Sommes-nous assez vilains de ne pas compatir à tant de sacrifices !
Macron a quand même un énorme avantage : il met à nu les mécanismes d’oppression constitutifs du régime. Il pousse le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel à avaliser toutes les dérives liberticides, il montre à quel point la justice et la police sont aux ordres du pouvoir, malgré quelques rébellions minimes montées en épingle ; il dresse devant les Français un miroir où ils peuvent se contempler : battus, écœurés, soumis, inertes, dociles. Les commissions d’enquête parlementaires révèlent à quel point les politiques menées sont ineptes, les ordres donnés, abusifs, l’exercice de l’autorité, arbitraire ? Personne ne démissionne, personne n’est révoqué, l’État s’assied tranquillement sur toutes les fureurs impuissantes et toutes les injustices gémissantes ; et il annonce que ceux qui protestent sont des méchants qui ne comprennent pas, ne savent pas, ne veulent pas, ne doivent donc pas être considérés, doivent être châtiés puis contraints. Le voilà, ce peuple souverain, enfin ouvertement méprisé par toute la technocratie triomphante qui n’aspire plus qu’à son annihilation politique, à sa dissolution économique, à sa disparition culturelle. C’est dit, c’est assumé, c’est présenté comme un projet rassembleur, et on désigne à tous les frileux les fossés dans lesquels on les versera s’ils n’obtempèrent pas.
Macron est donc le président que Politique magazine attendait : celui qui permet de montrer à quel point nos institutions sont intrinsèquement mauvaises puisqu’elles font surgir une telle chimère et favorisent une oligarchie qui a le temps de mûrir de tels produits. Oui, c’est la République qui a démocratiquement porté au pouvoir suprême un banquier qui ne jure que par une étrange démocratie aléatoire, conspue son propre pays, punit son peuple et exige qu’on lui dise merci, convoquant toutes les autorités légales pour expliquer à quel point il est légitime et cohérent de faire ainsi. On aurait voulu montrer à quel point ce régime est bancal et odieux qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Merci, président. ■
Article précédemment paru dans Politique magazine. [Janvier).