Par Pierre Debray.*
Cette étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite à paraître ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels qui découlent du changement d’époque, elle constitue selon nous une contribution magistrale à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
IV – Le choix : colonie allemande ou retour au protectionnisme
Sur l’injonction des Allemands, nos socialistes se sont lancés dans une politique déflationniste avec la même étourderie qu’auparavant dans une politique de relance par la consommation.
M. Barre applaudit, tout fier d’avoir laissé dans les caisses de l’Etat 350 milliards et un parc industriel obsolète faute d’avoir encouragé autant et aussi bien qu’il l’aurait fallu, l’investissement.
A condition d’accepter d’en payer le prix – trois cent mille chômeurs supplémentaires d’ici la fin de l’année, une réduction drastique des charges sociales et une baisse du niveau de vie de 3 – M. Delors peut réussir. Il dispose d’un environnement international qui s’améliore et d’une opposition parlementaire prise à son propre piège. Encore faudrait-il qu’il soit soutenu, inconditionnellement par le président de la République. Rien ne paraît moins certain.
Il peut réussir, mais à quoi ? A empêcher que le trou des finances publiques ne devienne puits sans fond, gouffre où s’engloutirait la nation. Les dettes resteront, qu’il faudra bien rembourser, capital et intérêts. Davantage d’inflation, alors que nos concurrents sont en voie de guérison, davantage aussi de chômeurs, qu’il faudra indemniser, même si l’imagination au pouvoir trouve quelque moyen, horriblement coûteux, d’en dissimuler l’existence et surtout des investissements qui continueront de se dégrader. Le déficit du commerce extérieur, même limité au 3 % du PNB que M. Mitterrand s’accorde généreusement (pourquoi 3% et non 2 ou 4, allez donc savoir), continuera de s’ajouter à celui des années précédentes.
Le président de la République s’est fixé un délai de deux ans pour assainir notre économie. Avec les deux déjà perdus par les socialistes, les sept qui le furent par Giscard, cela fera neuf ans de retard et le véritable problème, celui de la modernisation de notre appareil de production ne sera pas résolu pour autant. Que les charges sociales des entreprises au cours de ces neuf ans de malheur aient contribué au renouvellement trop lent de notre parc de machines, c’est vrai et le CNPF a raison de le souligner. Mais les salaires restent moins élevés en France que dans la plupart des autres pays d’Europe Occidentale, encore que ceci ne compense pas cela.
Une productivité à la traîne.
Le grand patronat devrait faire son examen de conscience. L’augmentation des coûts de production et l’affaiblissement de notre compétitivité, (sauf dans les domaines privilégiés comme l’aéronautique et le nucléaire) qui en découle, tiennent, pour l’essentiel, à la productivité de notre industrie qui n’augmente pas au rythme de ses concurrentes ce qui est lié à des facteurs psychologiques et structurels.
Dès le début du siècle notre natalité, trop faible pour soutenir le progrès de l’appareil productif, provoquait l’appel aux travailleurs immigrés, espagnols ou italiens pour la plupart. La première guerre mondiale devait accentuer le mouvement, avec l’arrivée massive des maghrébins. Une mauvaise habitude était prise. Le patronat n’a jamais compris que les augmentations de salaires, si elles s’accompagnaient de gains de productivité, développaient la demande. Il a fallu lui arracher des « conquêtes sociales » que l’Allemagne de Bismarck avait accordées, avant même que les syndicats ne les exigent. La main d’œuvre immigrée, réputée docile et peu exigeante parut un moyen commode de peser sur le marché du travail. Il était avantageux de remplacer des ouvriers français, relativement qualifiés, par des arabes. Tellement avantageux que lorsque l’amélioration du niveau scolaire commença à détourner les jeunes français des métiers manuels, on laissa se creuser un écart catastrophique entre les salaires des ouvriers et ceux des employés, pour la bonne raison que l’on ne pouvait importer des gratte-papier d’Algérie et qu’il fallait donc les payer convenablement. Avec un cynisme hypocrite, M. Stoléru encouragea même les maghrébins à faire venir leur famille. Ce qui réduisait les transferts de devises et fournissait de nouveaux consommateurs, Peu importaient les problèmes sociaux et les risques d’affrontements raciaux à ce libéral avancé. Seul comptait le tiroir-caisse.
Pendant ce temps le Japon qui, en dehors de quelques milliers de coréens, ne pouvait, en raison de l’exiguïté de son territoire, introduire des travailleurs immigrés, était contraint d’automatiser et par une politique de hauts revenus, de retenir en usine une classe ouvrière dont 80 % des membres sont bacheliers. D’où le succès des « cercles de qualité ». En dehors des difficultés que pose à la société française l’immigration, celle-ci a contribué à favoriser une politique industrielle de facilité d’autant qu’à l’inverse des vertueux Suisses, nous n’avons pas su organiser à temps le départ des travailleurs devenus inutiles. Nous en avons la conséquence et si celle-ci n’était désastreuse pour la nation, on serait tenté de se réjouir des malheurs de Citroën et de Renault.
Les maux de l’égalitarisme.
Seconde cause psychologique, spécifiquement française : la volonté d’égalitarisme, déjà vive du temps du libéralisme avancé et exaspérée par les socialistes. A prétendre réduire l’éventail des salaires, le moment vient où le balayeur gagne à peu de choses près autant que l’ouvrier qualifié. Ce qui décourage l’émulation, contribue à chasser de l’usine les éléments les plus ambitieux et provoque la fuite des ingénieurs vers les carrières commerciales, plus rentables. Mais surtout, le taux d’épargne est proportionnel aux écarts de salaires.
C’est un fait d’expérience que plus on monte dans la hiérarchie plus augmente la tendance à épargner. Il ne s’agit pas d’une simple affaire de disponibilités financières. La mentalité de rentier ayant disparu. il reste le désir de s’élever dans l’échelle sociale. L’égalitarisme tend détruire, transformant l’individu en un assisté, mentalité qui n’incite pas à économiser. En dehors de cet aspect psychologique, les besoins d’un ménage croissent en fonction de sa situation. Un cadre a davantage d’exigences à satisfaire que le balayeur. En réduisant à l’excès l’éventail des salaires, le moment vient où la satisfaction de ses besoins – confort, vie culturelle, voyages —limite la capacité d’épargne et parfois l’annule. A l’inverse l’augmentation de la part de la masse salariale attribuée aux « plus défavorisés », selon l’expression à la mode, est absorbée en achat de biens de consommation. Les socialistes en ont eu la révélation en 81. Ils recommencent la même erreur. Il y a gros à parier que la ponction fiscale. qui frappe exclusivement les couches sociales qui épargnent. les poussera. non à réduire leur consommation. mais à puiser dans leurs économies. Pour limiter dans des proportions suffisantes la consommation, il aurait fallu avoir le courage de toucher également les catégories « les plus défavorisées », ce qui aurait eu l’avantage de réduire les sommes que les immigrés envoient dans leur pays, cinq milliards rien que pour le Maghreb. De toute façon, ils seront victimes de la politique déflationniste qui augmentera le chômage.
Les conséquences d’une économie endettée.
N’oublions pas qu’au cours des neuf ans de malheur, le taux de profit des entreprises a diminué de 50%. L’industrie française ne survit qu’en s’endettant. Ce qui accroit ses frais financiers et constitue l’une des causes structurelles de l’inflation puisque l’intérêt qu’il faut payer entre de nécessité dans le prix de revient. Il convient d’être d’autant plus attentif à cette situation que le taux d’intérêt dépasse désormais le taux d’inflation, pourtant élevé. M. Delors s’est fait taper sur les doigts, quand il a tenté de réduire le taux d’intérêt des livrets de caisse d’épargne, mesure pourtant indispensable. Il est vrai que ni la situation du franc, ni l’importance du risque que prennent les prêteurs ne favorisent la diminution des taux d’intérêt.
Pourtant la mutation technologique qui s’engage exige des investissements énormes. C’est l’une des causes de la crise. Dès l’instant que l’on ne dispose que d’un parc industriel partiellement obsolète, il ne reste qu’un moyen de s’en tirer : sortir du SME. Le système qui désormais fonctionne comme une « zone Mark » nous livre à la tutelle du grand-frère teuton qui n’a aucune envie de nous aider à redémarrer. C’est plus facile à dire qu’à faire, M. Mitterrand y a songé et s’il a arbitré en faveur de Delors, éliminant Chevènement, c’est que la banque centrale allemande menaçait d’exiger le remboursement immédiat des avances de trésorerie que les socialistes avaient obtenues pour soutenir le franc pendant la période électorale. Il aurait fallu sortir du système monétaire européen dès janvier — ce que Giscard avait fait à deux reprises — et laisser flotter le franc qui aurait subi une décote salutaire’: 10% et plus. L’on voit la malfaisance du parlementarisme dans cette absurde attente qui a coûté 20 milliards à la Banque de France et nous a placés sous la coupe des Allemands, avec le risque de tomber, si le plan Delors échoue, sous la tutelle du FMI.
Nous aurions dû faire jouer les clauses de sauvegarde vis-à-vis de la CEE et du GATT, donc revenir à un certain protectionnisme. (À suivre, demain vendredi) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
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