Nous avons lu beaucoup d’articles lorsque Thibon est mort il y à vingt ans à Saint-Marcel d’Ardèche où nous avions enregistré quelques années plus tôt, trois conférences de lui qui sont dans nos archives. De tous ces articles, nous devons dire que celui qui nous a semblé le meilleur, le plus perspicace, le mieux fondé sur une compréhension intime de la pensée de Thibon et de sa personnalité, fut celui d’Alain de Benoist à qui nous l’avions pourtant opposé en 1982 dans un dîner-débat mémorable placé avait dit Thibon, ce soir-là en préambule, sous des auspices fraternelles.
Thibon en tenait, avec toutes les nuances et toutes les réserves dont il était naturellement doué, pour la société chrétienne traditionnelle héritée de la post-romanité, du Moyen-Âge et des grands siècles catholiques et monarchiques européens. Alain de Benoist qui venait de publier Vu de droite et Les idées à l’endroit, qui étaient de francs succès, défendait les thèses dites du néopaganisme. De Benoist savait qu’envers la pensée antique et le monde grec puis romain, Thibon nourrissait la même admiration que Maurras et, pour les Grecs, que Simone Weil, Il savait qu »entre paganisme et christianisme, du moins dans sa forme traditionnelle et aboutie, les oppositions ne sont pas, pour Thibon, aussi radicales qu’on le croit par esprit simplificateur. En bref, ce débat fut à la fois sans concession et fraternel. Simplement : vrai. La convergence entre les idées d’Alain de Benoist et les nôtres, en de nombreux points essentiels des enjeux actuels, est devenue aujourd’hui courante, évidente, utile.
Thibon considérait la politique comme le domaine de l’imperfection. La meilleure des sociétés était pour lui simplement la moins mauvaise des sociétés. Bainville ne disait pas autre chose. La poésie, la connaissance, la sagesse, la beauté et l’amour transcendaient pour lui, de très haut, l’ordre du politique. Ce qui n’empêchait nullement son engagement en faveur de la Tradition, de la fidélité monarchique, des doctrines de Maurras. Derrière le rempart, il y a la cathédrale mais c’est le premier qui garantit la tranquillité de la seconde. En langage plus imagé, il avait coutume de rappeler que la rose a besoin de fumier, tandis que le fumier n’a pas besoin de rose. Ainsi, les utilités sociales trouvent leur noblesse. Thibon emprunte souvent ses métaphores à la terre charnelle. Ce qui lui avait valu après-guerre, la mauvaise querelle du naturalisme que lui avaient cherchée les gens d’Esprit.
C’est ainsi que nous l’avons connu, libre, poète, philosophe, dégagé des conformismes et des artifices, lié à la terre, tourné vers l’ordre cosmique et acosmique, comme il le dit à Alain de Benoist au cours du débat dont nous avons parlé plus haut.
Dans l’ordre pratique, ajoutons que nous l’avons connu au fil de ses tournées de conférences en Provence, chaque année, pendant deux ou trois décennies, et à Montmajour ou aux Baux de Provence : il n’a jamais manqué, tant qu’il l’a pu, aucun de nos rassemblements royalistes du mois de juin. Il y fut toujours, l’orateur le plus attendu et le plus applaudi. En un sens, il a été l’âme, l’esprit de ces manifestations du royalisme français.
Le capital de la sagesse qu’il nous a légué, nous ne le conserverons qu’en le fécondant, en le récréant sans cesse. Selon son conseil.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Nous consacrerons à Thibon la plus grande part de nos publications d’aujourd’hui. Bonne lecture ! Ou bonne écoute !