Par Pierre Debray.*
Cette étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite à paraître ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels qui découlent du changement d’époque, elle constitue selon nous une contribution magistrale à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
Ne parlons pas des banques !
Paribas, officine de fraude fiscale, méritait d’être purement et simplement confisqué, pour l’exemple, en déplorant que l’usage de l’ancienne France se soit perdu et qu’il n’y ait plus de gibet pour les financiers. Les nationalisations ne s’imposaient pas pour les autres établissements, le ministère des finances disposant déjà de tous les moyens de contrôle imaginables. Le funeste encadrement du crédit aurait même dû être supprimé. L’expérience de la Société Générale, de la BNP et du Crédit Lyonnais prouve d’ailleurs que, nationalisé ou pas, notre système bancaire est inadapté. La recherche de la rentabilité financière, sans qu’il soit tenu compte des nécessités de la gestion industrielle, aboutit à des situations absurdes. Des entreprises, parfaitement viables, se voient couper les vivres, donc acculées au dépôt de bilan parce que leur effort de modernisation ou la conquête de nouveaux marchés ne sont financièrement rentables qu’à long terme. Pour une bonne part, la situation désastreuse du secteur de la machine-outil s’explique de celle manière. Par contre, les banques ont trop longtemps soutenu des entreprises en perdition, parce qu’imprudemment engagées, elles préféraient leur prêter pour leur permettre de rembourser les intérêts d’emprunts précédents plutôt que de renoncer à des créances irrécupérables mais qui s’inscrivaient, dans leur bilan, à l’actif. La création d’une banque des cadres et surtout d’une banque nationale d’investissement, aurait permis par le jeu de la concurrence. d’opérer le changement dans la politique bancaire qui s’imposait. Les socialistes ont préféré des « nationalisations spectacles » qui permettent au système de se perpétuer en occultant les vrais problèmes.
Autre réforme gâchée : l’impôt sur la fortune. En soi, il n’a rien de révolutionnaire. La Suisse l’applique. Il existait déjà dans les cités hellénistiques sous la forme des « liturgies », ces « dons » que devaient les citoyens les plus opulents. Rien de plus normal, surtout en période de crise, que d’exiger des riches certains sacrifices, à condition d’en définir l’objectif économique : il s’agit de diriger la marge de revenus statistiquement consacrée à des dépenses somptuaires vers des investissements productifs. L’exemple de l’Australie est de ce point de vue instructif. Le contribuable est détaxé à 150% des sommes qu’il utilise pour améliorer son outil de travail ou pour pratiquer un mécénat d’ailleurs strictement contrôlé.
Ce qui rejoint la pratique hellénistique des « liturgies ». Le pouvoir socialo-communiste a préféré laisser le profit de l’impôt sur la fortune se perdre dans le gouffre des finances publiques. Un tel impôt n’avait d’ailleurs de sens que s’il s’accompagnait d’une réforme du régime des successions. Trop de PMI florissantes disparaissent, à la mort de leur fondateur, du fait des partages qui contraignent celui (ou celle) des descendants qui reprend l’affaire à s’endetter au-delà des possibilités de l’entreprise.
Les handicaps du socialisme, plus ceux du libéralisme.
De même, il fallait retrouver, pour autant qu’elle ait existé « l’ardente obligation du plan ». Dresser l’inventaire des ressources de la nation et des besoins non satisfaits. Ceux-ci restent considérables. Ainsi une politique familiale ambitieuse et coûteuse s’impose si l’on veut éviter l’effondrement de la démographie.
Puis, définir quelques priorités et se donner les moyens, par un bon usage de la fiscalité et du crédit, plutôt que par des actions directes, d’orienter l’économie en fonction de ces objectifs prioritaires, et ce, dans le cadre de l’économie de marché. Mais les socialistes se souciaient si peu du plan qu’ils le confièrent au mauvais drôle qu’ils mettaient en pénitence. L’admirable Rocard, coqueluche des douairières de l’Etablissement se débarrassa de cc pensum comme il pût, concoctant un indigent morceau de rhétorique, manifestement bâclé, où l’on trouve à boire et à manger. Etrange comportement, on en conviendra, de la part de gens qui prétendent rompre avec « le laissez faire, laissez passer » ! D’ailleurs M. Delors jure ses grands dieux qu’il tient la liberté des prix pour un dogme et s’il fait des entorses à ce sacro-saint principe de l’économie cosmopolite, il se frappe la poitrine avec une vigueur qui tire des larmes à M. Barre.
Quand ils sont arrivés au pouvoir, les socialistes ne possédaient aucun programme économique. M. Mitterrand s’était contenté de mille et une promesses, tout comme M. Barre, dans son « programme de Blois », en 1978. Un catalogue de mesures ponctuelles, d’ordinaire inspirées par la démagogie ne fait pas une politique. Il suffit, du reste, de relire le « projet socialiste ». C’est un document inspiré d’Helvétius et de l’Aufklarüng, qui fonde la régénération du peuple français sur la pédagogie érigée en méthode de gouvernement.
Que, dans les loges, cette vieillerie, fardée d’une logomachie psychanalytique, ait pu provoquer le fracas louangeur des maillets, j’en conviens. Cela ne permet pas de sortir de la crise. Les socialistes se sont bornés à créer deux cent mille emplois supplémentaires dans les bureaux et à organiser, avec la retraite à soixante ans et les contrats de progrès, le départ forcé d’une génération qui avait eu la chance d’être convenablement formée par un système scolaire que le mai de 68 n’avait pas encore détraqué. C’est ce qu’ils nomment « lutter contre le chômage ». Il est vrai que la CFDT et l’épiscopat français possèdent le remède miracle : le partage du travail. Même M. Chevènement trouve cela bête à manger du foin. Il l’écrit :
« La vérité est qu’il n’y a pas d’autre solution aux problèmes que nous rencontrons que de libérer les forces productives, toutes les forces productives sans exception, qu’il s’agisse de la mise au travail des chômeurs ou de l’utilisation des nouvelles technologies. Pour rééquilibrer la balance commerciale, moderniser l’appareil productif, et répondre aux besoins de consommation, il n’y a qu’un seul moyen : il faut produire plus et mieux. C’est là la priorité essentielle. Du relèvement de la production et de l’amélioration de la qualité industrielle dépend le niveau de l’emploi. Le néomalthusianisme à la mode, qui fait dépendre essentiellement la solution du problème de l’emploi du partage du travail considéré comme une denrée rare, ne peut que nous enfermer dans un équilibre de sous-emploi. Parier sur la production, y compris à travers une parité réaliste du franc, implique bien évidemment qu’on privilégie le niveau de l’emploi par rapport à tous les autres objectifs r compris celui du pouvoir d’achat global. Que ceux qui voudront à toute force augmenter le leur travaillent pour cela d’avantage ! Cet effort-là vaudra toujours mieux que les macérations du jeûne. A terme, seule une production croissante permettra de gager de nouvelles augmentations de pouvoir d’achat. De même n’v a-t-il pas, en dehors de la croissance, de solution aux problèmes des charges et de l’autofinancement des entreprises ».
La citation est un peu longue mais le propos est trop pertinent pour ne pas mériter d’être mis en valeur. De même M. Chevènement note fort bien « la ridicule hégémonie » que les idéologues libéraux exercent sur les choix du gouvernement Mauroy. Il fournit même l’explication de l’échec désormais assuré. « Le cheval socialiste ne peut gagner la course, si, en plus des handicaps du socialisme, il se laisse imposer ceux du libéralisme ». On ne saurait mieux dire. Quand il conclut à la nécessité de « soulever au-dessus de lui-même » tout à la fois le peuple de gauche et celui de droite nous serions tentés d’applaudir. C’est vrai, la France doit se rassembler autour d’un grand dessein. Lequel ? Comment ? Le moment est venu de conclure en répondant à ces deux questions. (Fin de cette série – Une suite est à venir : Propositions pour une réforme de l’économie. ) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
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