La sordide affaire Duhamel est en train de se transformer en un phénomène des réseaux sociaux visant l’inceste, comme signalé depuis ce week-end par les médias de masse.
Or ce qui étonne, c’est que cette affaire relève plus de la pédophilie que de l’inceste, car il n’y a pas lien de sang entre Duhamel et Kouchner, ce qui bien évidemment n’enlève rien à la gravité des faits. Une fois de plus on ne s’attache pas au sens des mots, seule l’émotion pure compte, au détriment de la rationalité.
Sur Twitter des milliers de témoignages de victimes d’inceste ont été publiés depuis la sortie du livre La familia grande de Camille Kouchner, où elle accuse Olivier Duhamel d’avoir violé son frère jumeau lorsque celui-ci avait treize ans.
Ces lignes du grand Barbey d’Aurevilly, blasé des bassesses de la moraline autant que des turpides humaines, mais soucieux de vérité, lignes qui introduisent une nouvelle des Diaboliques (1883) intitulée La vengeance d’une femme, font écho à cette sordide affaire. Elles n’excusent évidemment rien. Elles prennent du recul. De l’altitude. D’où mieux qu’ailleurs se lit la bassesse.
« J’ai souvent entendu parler de la hardiesse de la littérature moderne ; mais je n’ai, pour mon compte, jamais cru à cette hardiesse-là. Ce reproche n’est qu’une forfanterie… de moralité. La littérature, qu’on a dit si longtemps l’expression de la société, ne l’exprime pas du tout, — au contraire ; et, quand quelqu’un de plus crâne que les autres a tenté d’être plus hardi, Dieu sait quels cris il a fait pousser ! Certainement, si on veut bien y regarder, la littérature n’exprime pas la moitié des crimes que la société commet mystérieusement et impunément tous les jours, avec une fréquence et une facilité charmantes. Demandez à tous les confesseurs, — qui seraient les plus grands romanciers que le monde aurait eus, s’ils pouvaient raconter les histoires qu’on leur coule dans l’oreille au confessionnal. Demandez-leur le nombre d’incestes (par exemple) enterrés dans les familles les plus fières et les plus élevées, et voyez si la littérature, qu’on accuse tant d’immorale hardiesse, a osé jamais les raconter, même pour en effrayer ! À cela près du petit souffle, — qui n’est qu’un souffle, — et qui passe — comme un souffle — dans le René de Chateaubriand, — du religieux Chateaubriand, — je ne sache pas de livre où l’inceste, si commun dans nos mœurs, — en haut comme en bas, et peut-être plus en bas qu’en haut, — ait jamais fait le sujet, franchement abordé, d’un récit qui pourrait tirer de ce sujet des effets d’une moralité vraiment tragique. La littérature moderne, à laquelle le bégueulisme jette sa petite pierre, a-t-elle jamais osé les histoires de Myrrha, d’Agrippine et d’Œdipe, qui sont des histoires, croyez-moi, toujours et parfaitement vivantes, car je n’ai pas vécu — du moins jusqu’ici — dans un autre enfer que l’enfer social, et j’ai, pour ma part, connu et coudoyé pas mal de Myrrhas, d’Œdipes et d’Agrippines, dans la vie privée et dans le plus beau monde, comme on dit. »
Merci à Rémi Hugues de sa transmission.
Voilà qui change de la moraline ambiante ! Un très grand écrivain, comme Barbey, comme les autres grands, n’a jamais peur de parler de la réalité, au mépris des braves gens qui se cachent la tête sous l’aile.
« Si tu avais chez toi un enfer comme le mien, tu commencerais peut-être à comprendre. J’ai beau me dire que le monde est en feu, la vie, pour moi, c’est d’abord cette besace de boue et de malheur que je traîne dans la nuit de mon tunnel ».
Marcel Aymé (Le chemin des écoliers)