Par Thomas Morales
Cet article écrit avec le talent de Thomas Morales est paru dans Causeur le 19 janvier. Il nous change, ce samedi, des sujets de haute politique. Et pourtant, il s’agit de la nostalgie française. Ce n’est pas rien. Zemmour en a traité, bien-sûr, sur d’autres plans, dans des livres à grand succès. Qu’y rajouter ? Il suffit de lire.
Luca de Meo, directeur général de Renault a présenté, jeudi dernier, la future R5 électrique en vidéoconférence. Réjouissant !
Elle est apparue sur la scène, jaune poussin pour certains, canari pour d’autres. Elle ne sera commercialisée qu’en 2024, son électrification est un signe de renaissance pour la marque au losange.
Elle a un peu forci, elle est aussi plus anguleuse aux ailes, plus techno dans le regard, elle a quelque chose de plus affirmé dans le spoiler avant, cet air décidé m’a rappelé la Supercinq GT Turbo venue des Eighties quand la croissance économique et la liberté de rouler ne connaissaient aucune entrave.
Dans ces années-là, on filait sur la voie de gauche de la dérégulation, appel de phares pour réveiller les retardataires et faire peur aux derniers collectivistes du programme commun. Les cocos à Moscou ! Et la coco dans les toilettes du Palace ! Sur les spots de pub, Séguéla faisait cracher une CX GTI Turbo de la bouche de Grace Jones ou émerger une Visa GTI d’un sous-marin. Le patriotisme et le libéralisme fricotaient ensemble dans un slow malsain. Au cinéma, Christophe Lambert, coiffure peroxydée, enrhumait des méchants en limousines allemandes au volant de la 205 GTI grise de Subway. La Régie actionnait son Turbo en championnat du monde de Formule 1 et Chirac inaugurait la cohabitation à l’arrière d’une R25 Limousine. L’automobile française avait des fourmis dans le moteur et déjà des envies de délocalisations.
Les voitures sont nos Madeleines de Proust
Les jeunes générations claquemurées dans leurs studios depuis bientôt un an ne peuvent pas comprendre cette parenthèse débridée, entre Gym Tonic, le dimanche matin sur Antenne 2 et l’arrivée (aveuglante) de La 5 de Berlusconi, de la Vie Claire de Bernard Tapie sur la Grande Boucle à la Cicciolina au Parti Radical italien. Les voitures sont nos Madeleines de Proust, elles agissent comme des lumières dans une mondialisation froide et nébuleuse. C’est E.T de Spielberg qui pointe son doigt vers le ciel et dit : « Maison ! ». Pour un peuple réfractaire au changement, l’appellation « R5 » joue sur la corde sensible de la nostalgie.
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Camarades bourgeois, il n’y a rien de mieux pour vendre des bagnoles. Le Français a besoin d’être rassuré par des images d’Épinal, les bons points de son enfance, le Tang en poudre des goûters trop sucrés, le mohair de Sinclair, la patte douce de Mabrouk et les traits de Dorothée croqués par Cabu. Coup de com’, martingale marketing ou valorisation du patrimoine à des fins commerciales, peu importe la stratégie pour créer de la valeur.
© Olivier MARTIN-GAMBIER / Renault
L’objet automobile n’est jamais aussi vivant que lorsqu’il emprunte le chemin des souvenirs. On ne se débarrasse pas si facilement des liens du passé. En présentant cette future R5 100 % électrique, Luca de Meo a remis du sens et de l’affect au cœur du débat industriel. Cette « R5 » modernisée, réminiscence de nos plus belles années, nous fait du pied sous la table. Elle secoue notre mémoire comme une bouteille d’Orangina à la fête du village du 15 août.
La R5 première génération fut mon premier amour
Parce qu’il faut l’avouer, il y a aujourd’hui prescription, la R5 de première génération, celle du début des Seventies, de couleur orange, vert laitue, jaune citron ou bleu clair fut mon premier amour. Un emballement de l’imaginaire dont on ne sort pas indemne.
Elle avait la candeur de Joëlle Mazart et le sourire de Casimir. Ses lignes arrondies cajolaient déjà ma mélancolie. Je me souviens de ma mère, Ray-ban fumées sur le nez et Craven A au bout des lèvres, chagrin d’amour en volume sonore maximal dans une R5 avec un toit en vinyle, venant me chercher à la sortie de l’école.
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C’était Annie Girardot en plein Berry. Cette R5 était l’héritière d’une longue tradition de petites autos populaires, de la 4CV à la 4L, de la cabane de Louis Renault au fond de son jardin à l’Ile Seguin, le pont entre le monde ouvrier et les aspirations à une mobilité décorsetée.
Une voiture tellement plus émancipée qu’un SUV
Cette R5 de la fin des Trente Glorieuses, tellement plus émancipée qu’un lourd SUV, était un appel à prendre la route, sur un coup de tête, un vendredi soir très tard et de profiter d’un lever du soleil, sur une plage de Normandie ou des Landes sans une énième autorisation administrative.
Cette R5 habillait élégamment les rues de France sans distinction de classes sociales et sans distanciation. Elle était partout chez elle, dans les beaux quartiers et au bas des cités, à la campagne et au bord de la mer. Il ne serait venu à l’idée de personne de la dégrader ou de la brûler, elle portait en elle, les espoirs d’un peuple qui a foi en son génie créateur, qui croit au progrès et à la liberté, à l’emploi national et à la promiscuité d’une piste de danse. La R5 était l’incarnation de ce fameux et lointain « vivre ensemble ». Alors je me réjouis que l’évocation d’une voiture, vieille de quarante ans, a ému, ne serait-ce qu’un instant, une nation si malmenée. ■