Par Pierre de Meuse.
Pierre André Taguieff a acquis une grande notoriété en raison de ses recherches dans le domaine de l’antiracisme. Venu de l’extrême Gauche, comme tant de penseurs français, il a évolué de façon notable en prenant parti sans détours en faveur de l’intervention américaine en Irak (1).
Dans les années 80, il a entretenu une certaine relation avec l’Action Française à l’époque de la dite « génération Maurras » et récemment, Christian Franchet d’Espérey écrivit sur le site de l’AF un article tiré de la NRU dans lequel il annonçait, dans le cadre de « l’aggiornamento » qu’il souhaite : « effectuer une recherche (qui) sera approfondie en nous appuyant notamment sur les travaux de Pierre-André Taguieff. Il s’agit de montrer en quel sens le maurrassisme est fondamentalement un antiracisme. (2) ». Nous avons donc pensé qu’il était utile, pour apporter notre contribution sincère et objective à cette question, d’étudier sans a priori les observations de ce directeur de recherches au CNRS et ses évolutions.
Taguieff commence sa vie adulte en militant dans la mouvance situationniste, avec Guy Debord et René Viénet, et ne se distingue pas à cette époque des divers groupuscules qui participèrent à la révolte de 68. On remarque chez lui une méfiance pour l’autoritarisme doctrinal, stalinien par exemple. Il sera également influencé par le philosophe Paul Ricœur.
Tout va changer avec son œuvre de maîtrise qui porte un nom significatif : « La force du préjugé. » Ce livre contient déjà en germe l’ensemble des constantes de sa pensée, et marque pour lui la fin du « militantisme » gauchiste. D’abord le titre choisi, qui se place clairement dans la ligne de pensée des auteurs du XVIII° siècle. Le préjugé vu par Diderot, D’Holbach et le Chevalier de Jaucourt comme un « faux jugement que l’âme porte de la nature des choses, après un exercice insuffisant des facultés intellectuelles » ; c’est un « fruit malheureux de l’ignorance (qui) prévient l’esprit, l’aveugle et le captive. (3) » Bien sûr Taguieff ne s’intéresse pas aux auteurs qui, comme Burke, Herder ou Bonald, ont réhabilité le préjugé, qualifié de « vêtement d’une raison cachée » qui, à rebours du cosmopolitisme de révolutions délétères, donnerait toute sa place à l’histoire, « l’expérience du temps ». C’est que l’auteur de ce livre se place, clairement, dans le camp de l’antiracisme dont il a été le théoricien le plus en vue. Du reste, lorsqu’il est amené à prendre la parole dans les médias, Taguieff ne manque jamais de se montrer hostile aux « racistes », Front National en tête, et à utiliser les sophismes habituels pour les fustiger (4) Cette attitude est évidemment justifiée par le désir de soigner sa popularité parmi le public qui le suit, mais qui ne le lit pas toujours. Car, à l’écrit, Taguieff se montre plus universitaire et même nuancé pour traiter sa spécialité. A ce titre, on peut dire que son œuvre maîtresse, parue en 1988, a ouvert des voies nouvelles pour la connaissance de ce sujet ; en fait, son effort de recherche porte essentiellement sur le caractère contradictoire et hétérogène du discours et de la praxis antiracistes, issu selon ses travaux d’a priori opposés. Grosso modo, car il est ardu de résumer en trois lignes un pavé de 700 pages, il constate qu’il y a incompatibilité absolue entre l’« acceptation de la diversité » et l « ’impératif du métissage », puisque le second terme anéantit le premier (« comment respecter à la fois l’unité́ et la pluralité ? Comment affirmer en même temps l’égalité et la différence ? ». Comment dire à la fois que les races n’existent pas, qu’il faut les détruire…et qu’il faut respecter les autres races ?).
Il constate également que, de manière inattendue, les antiracismes opposés tirent leurs principes de théories prônées par certains « racistes ». Le nom de Claude Lévi-Strauss vient naturellement à l’esprit, bien sûr. Dès lors, la cohérence du discours antiraciste se désagrège, puisque, nous explique brillamment Taguieff, un même raisonnement pourrait à la limite être tenu par un « raciste » ou un antiraciste, n’était l’épidictique, c’est-à-dire la qualification de bon ou de mauvais. Tout cela est toujours expliqué par Taguieff sans jamais exprimer sa conviction ni ses propres sentiments. C’est une constante chez lui. Il faut remercier cet auteur pour l’effort de réflexion qu’il a fait, et qui a indiscutablement fait avancer le débat. Taguieff mettait aussi en lumière le fait que l’énorme appareil idéologique de l’antiracisme était dans une impasse, en ce sens que son objectif, qui était de rejeter le « racisme » dans les oubliettes de l’histoire, le III° Reich ayant été anéanti, n’avait pas été atteint, et que des comportements « racistes » perduraient puisque l’idéologie de l’indifférenciation trouvait toujours devant elle des obstacles.
Il écrit ainsi en 2013 que la réduction de l’attitude discriminante à « un archaïsme », à une « trace du passé, d’un passé heureusement dépassé́ » était un échec. « Cette foi dans l’inévitable dépérissement futur du racisme semble s’être évanouie. » (5). On aurait pu penser que ce constat audacieux entraînât une pause dans le développement de cette lourde machinerie. Il n’en fut rien. Bien au contraire, les lobbies antiracistes multiplièrent – et multiplient encore à l’heure où nous écrivons – un appareil législatif répressif sans précédent. De même, il aurait été logique que la nébuleuse antiraciste, devant cette critique serrée de sa doctrine conduisît à une remise en ordre des définitions et des postulats qu’elle renfermait, s’opposant à elle ou en tirant les conséquences. Là encore, ce ne fut pas le cas. Ce qui explique cette inertie tient au fait que le discours antiraciste n’avait nul besoin de cohérence pour réussir, la suite le prouve. De plus les motivations de ceux qui étaient les puissants moteurs de l’antiracisme, à savoir le libéralisme mondialisé et l’humanisme révolutionnaire, n’étaient nullement d’œuvrer à l’harmonie et à la concorde entre les hommes, mais de détruire les obstacles se dressant devant eux, nommément les identités nationales et les sociétés organisées sur la base des traditions. En un mot, les héritages du passé historique. ■ (À suivre, demain mercredi)
(1) Il a même été un des fondateurs du Cercle de l’Oratoire, qui se propose de lutter contre l’anti-américanisme en France.
(2) Site de l’Action Française, 27 juillet 2020. Il va de soi que nous contestons clairement cette interprétation de la pensée de Maurras, qui est un contresens.
(3) Encyclopédie.
(4) Ainsi lorsque JM le Pen déclara que les Africains couraient plus vite que les Européens, il en conclut au micro de France Inter, que c’était une preuve qu’il les jugeait inférieurs.
(5) Article de Pierre-André Taguieff publié dans le Dictionnaire historique et critique du racisme, Paris, PUF, 2013,
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Remarquable article !
« Détruire les obstacles se dressant devant eux ». Le principal est dit. Les « antiracistes », en prétendant combattre et corriger un défaut inhérent à l’espèce humaine, à savoir, l’existence de différences et de préférences, ces dernières désignées artificiellement comme « racisme », se sont donné, tout à la fois, lustre, prestige, bonne conscience et l’arme menaçante d’une « mise en examen » générale pour « indices graves et concordants » .
Tel les prédicateurs fulminant contre le péché de chacun (sans toujours y échapper eux-mêmes), ils s’ouvrent une immense carrière à exploiter pour leur promotion et leur profit.
Effrayer, culpabiliser, agiter, faire rêver, déstabiliser, paralyser les masses avec la même facilité qu’on enfonce une porte ouverte. Voilà leur programme, sans souci des conséquences ni égards pour des pensées aussi abouties que celles de Claude Levi-Strauss, et encore moins pour les subtilités des « utiles » du genre Taguieff.