PAR PIERRE BUILLY.
Sailor et Lula de David Lynch (1990).
Blache-Neige et le prince charmant.
Sans doute peut-on voir dans Sailor et Lula une relecture (comme on dit) de l’immortel mythe de Roméo et Juliette. Mais si les Capulet sont là (la mère de Lula et ses amants), on chercherait bien en vain les Montaigu, Sailor ayant très jeune perdu ses parents et ne portant pas le poids de querelles recuites…
Trêve de plaisanterie ! C’est évidemment l’histoire de Blanche neige que David Lynch raconte, après que les Sept nains sont retournés travailler à la mine et que le Prince charmant a réveillé la Belle (et on sait bien de quelle manière !). Seulement la méchante marâtre a survécu, a développé une incroyable relation possessive avec la jeune fille et, à défaut de pouvoir l’enlaidir, a souhaité la préserver de l’étreinte du Mâle, plaisir qu’elle se réserve et dont elle use sans compter.
Des preuves de ce que j’avance ? Mais tout simplement le narcissisme fou de Marietta (Diane Ladd), propre mère, à l’écran comme à la ville, de Lula (Laura Dern), sa manière de boire des coquetèles qui sont en fait des philtres maléfiques, de se regarder dans des miroirs et de rechercher sa fille/rivale dans des boules de cristal. Pas convaincant, cela ?
Cela dit, comme c’est un film de David Lynch, un des réalisateurs les plus talentueux, mais les plus chtarbés de toute l’histoire du cinéma, ce n’est pas dans les douceurs acidulées de Walt Disney que ça se passe, mais dans des États-Unis dépeints comme un pays composé à part presque égales d’assassins et de débiles, une sorte de publicité négative pour qui voudrait visiter la frontière entre les Caroline du Nord et du Sud et le Texas profond. Dans ces contrées étranges et angoissantes par leur existence même, les lumières des bars louches sont rougeoyantes (comme dans Twin peaks et dans Blue velvet) et les routes hypnotiques (comme dans Lost highway et dans Mulholland drive). Glaçant. On comprend pourquoi David Lynch est de plus en plus parisien.
L’amour d’incandescence de Sailor et de Lula est à peu près la seule netteté d’un film assez sale par ailleurs. Amour fait autant de tendresse, d’attention à l’autre que de désir et de plaisir. C’est bien ça : un beau film d’amour comme il n’y en a pas si souvent que ça, au delà des violons, altos et violoncelles qui sont si souvent employés. Sailor et Lula sont si naïfs, si tendres, si attachants dans leur histoire, si purs aussi (j’entends déjà des ricanements graveleux !) au milieu d’une sorte de cloaque insupportable et monstrueux, de visages inquiétants, de fous furieux, de tueurs sadiques… Extraordinaire personnage, soit dit en passant, de Bobby Peru (Willem Dafoe).
Du reste la distribution est excellente ; tout à la fois fragiles et forts, Lula (Laura Dern) et Sailor (Nicolas Cage) ont à la fois le grain de folie et d’innocence qui sied à leurs personnages ; et les autres visages choisis, avec le soin qu’on imagine, par Lynch sont remarquables…
À la fin, l’image de la méchante reine s’efface du miroir : on n’est plus dans Blanche neige, mais dans Le magicien d’Oz et la sorcière aux dents vertes a été vaincue. Ce qui est à la fois moral et sympathique. ■
DVD autour de 10 €o;;;;o
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