Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
On s’y attendait, maintenant c’est dit.
Les premiers coups de téléphone de M. Biden, – que ce soit à M. Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, mais aussi à Mme Merkel et à M. Macron – confirment la volonté politique américaine d’en revenir au leadership sur l’ensemble de ce qui fut le « camp occidental ». Garantir, comme il l’a fait, un soutien automatique à l’Europe en cas d’agression (article 5 du Traité de l’Atlantique-nord), ce n’est pas rien et on s’est réjoui à Bruxelles d’avoir retrouvé l’ami américain, c’est-à-dire le protecteur qui rend inutile toute velléité d’une défense indépendante, donc d’indépendance tout court. On s’est réjoui aussi à Berlin car l’Allemagne trouvera toujours plus commode et plus profitable de s’en remettre à l’OTAN plutôt que d’avoir à financer une politique de défense européenne.
Cependant, ce retour au statu quo ante rappelle par trop la « guerre froide » pour ne pas sembler quelque peu daté. Il est certes toujours commode de faire de la Russie un épouvantail. Ainsi exploite-t-on en ce moment contre elle une prétendue affaire Navalny (avec Mme Merkel dans le rôle du chevalier blanc) qui, si les accusations se révélaient fondées, ne démontrerait paradoxalement rien d’autre que l’incapacité et l’inefficacité, donc la non-dangerosité, du système moscovite. Pourtant, et plus sérieusement, on ne fera croire à personne que la Russie est l’équivalent de l’U.R.S.S.. D’ailleurs, même notre Le Drian national affirme (« Questions politiques », France Inter, 24 janvier), dans un éclair de bon sens que « la Russie ne va pas déménager […] la géographie est têtue. La Russie est notre voisin et nous avons des questions de sécurité et de confiance [à discuter avec elle]. »
En fait, l’hostilité à la Russie, dont s’accommodent tant la plupart des pays de l’Union européenne, doit permettre de leur faire accepter l’intention avouée de M. Biden de regrouper les démocraties en un front commun face à la Chine. Mais cette proposition-là ne suscite pas autant d’enthousiasme. Sans doute parce que la Chine, elle, est une vraie puissance dangereuse, qui méprise le droit-de-l’hommisme militant de l’U.E., et surtout un marché intéressant, notamment pour une Allemagne qui entend continuer à accroître ses exportations et vers le marché américain et vers le marché chinois. Du coup, c’est bien Mme Merkel elle-même qui, lors du forum virtuel de Davos de la semaine dernière, exprime réserves et réticences : « je voudrais éviter la constitution de blocs […] ce n’est pas comme ça que j’envisage les choses. »
Avec M. Trump, Mme Merkel n’avait évidemment pas ce souci. Les autres pays de l’Union non plus. Il leur faudra peut-être, même sans doute, faire quelques concessions à des Américains qui attendent à bon droit un retour sur ré-investissement. Pour le groupe de réflexion European Council on Foreign Relations, les quatre années de la présidence de M. Trump auraient produit un effet profond et durable : les Européens ne voudraient plus compter seulement sur les Américains pour les défendre, confortant ainsi une vision plutôt « française » de l’Europe. Quoi que nous pensions ou souhaitions par ailleurs, restons-en aux faits. Pour l’instant, ils sont plutôt préoccupants. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
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