Par Philippe Mesnard.
Ne parlez pas, n’espérez rien, ruminez. Nous vous fournirons des repas à un euro et des chèques de soutien psychologique.
À quelques jours d’intervalle, l’Académie de médecine a recommandé qu’on ne parle pas dans le métro et Emmanuel Macron s’est plaint, avec une dignité teintée d’énervement et d’un soupçon d’amertume, que la France était une nation de 66 millions de procureurs – y compris les enfants en bas âge, les militants LREM et les nouveaux nés, donc.
Ne pas parler, ne pas poser de questions, ne pas critiquer. Fermez-la. Voilà donc, longuement distillée par trois ans et demi d’exercice du pouvoir, la leçon du prince qui n’aimait pas les passions froides. Ne parlez pas, n’espérez rien, ruminez. Nous vous fournirons des repas à un euro et des chèques de soutien psychologique. Et nous vous expliquerons, aussi souvent qu’il le faudra, que vous avez tort. Tort d’être surpris, tort d’être énervés, tort d’être inquiets, tort de débattre, tort de manifester, tort de vivre, en un mot. Tort de croire que le mot “démocratie” a un autre sens que « Vous avez voté, c’est fini, maintenant ». Tort de croire qu’une stratégie qui ne marche pas est un échec car… « je ne prendrais pas ce chiffre pour dire que c’est un échec : ça n’a pas marché. » comme le déclarait avec aplomb Macron à un journaliste lui parlant de l’application StopCovid (qui continue, après son changement de nom, de ne pas marcher). Voilà tout. Donc on n’en parle pas. On ne parlera pas non plus des vaccins et de la stratégie vaccinale, du déficit de la France, de son isolement au sein de l’Otan ou des rapports étroits d’Olivier Duhamel avec la macronie. Ce n’est pas le sujet. Et n’essayez pas d’en proposer un, ce n’est pas votre rôle.
Le sujet, c’est la phase 2 du quinquennat – qu’on attend depuis deux ans, en gros – ou plutôt les élections présidentielles de 2022. On a fini par comprendre qu’il n’y aurait pas de phase 2, de magnifique relance de l’espoir suscité chez certains en 2017. On enterre la phase 2, et la proportionnelle avec elle. « C’est à cause de la pandémie », nous assurent les éditorialistes serviles qui ont bien compris que rien ne peut être un échec ni une promesse non tenue. Voilà, c’est pandémique. Les Français ne votent plus ? C’est de la pandémie qu’ils sont malades. Ils n’ont plus confiance en rien ? La pandémie. Ils économisent par crainte des lendemains ? La pandémie. Ils se ruent à Madrid, où les bars et les boîtes de nuits sont restés ouverts ? La pandémie. Ils n’aiment ni Macron ni Castex ? La pandémie, la pandémie, vous dis-je. Fichus malades ! Et qui se croient bien-portants, en plus ! Ils devraient savoir que ne pas se soumettre est le signe d’une faiblesse constitutive et que ratiociner sur des décisions aussi logiques qu’ouvrir les métros (lieux aérés s’il en fut) et fermer les télésièges (dont on sait à quel point leur atmosphère est confinée) prouve qu’on est atteint de procurite, mal insidieux qui attaque les vitamines citoyennes. On médite donc, finalement, à voix haute, de ne pas donner aux Français le droit de voter honnêtement pour qui ils veulent, ce serait dangereux pour la démocratie pandémique. Le parti LR applaudit d’ailleurs. Que l’Assemblée soit aux ordres de Macron, c’est odieux, mais si d’aventure elle était aux ordres de Xavier Bertrand ou Bruno Retailleau, ma foi, ce serait très différent. Beaucoup plus démocratique, alors, ce bloc majoritaire. « Allez, vous avez voté, c’est fini, les petits ».
En attendant, on débat gravement de l’acceptabilité sociale du confinement. C’est une notion nouvelle : les gens vont-ils accepter une mesure ? Les conseillers du président s’inquiètent, car s’il y a bien une chose qu’on peut porter au crédit de Macron et de son gouvernement, c’est qu’ils sont très soucieux de la manière dont les Français acceptent les mesures qui se déversent sur eux, qu’elles marchent ou pas, on l’a vu avec les Gilets jaunes. C’est sans doute à ce moment-là que la France a été récompensée par l’ONU pour sa stratégie d’acceptabilité sociale (SAS®), mais Macron a été discret, c’est un homme humble. « Il faut faire de la pédagogie, de l’explication. Que la population comprenne », confie une source gouvernementale à LCI. Voilà. Il suffit qu’on nous explique. Comme on nous déjà expliqué que les masques ne servaient à rien ou que la stratégie vaccinale française était la meilleure, et ça a très bien marché, on a tous compris. D’ailleurs, nous avons un exécutif d’élite : « On va devoir se démultiplier, pour aller prêcher la bonne parole des médias », ajoute la source. Nul doute que cela n’emporte l’adhésion des Français, enfin, ceux qui ne sont pas partis pour Madrid. Sinon, après la pédagogie, on leur dira de la fermer, ça marche aussi. ■
Article précédemment paru dans Politique magazine. [Février).