PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro du 13 février. Faut-il dire notre accord ? Une seule réserve toutefois : c’est lorsque Bock-Côté nous parle de civilisation démocratique. Est-ce le mot propre ? Il écrit plus loin : civilisation occidentale et nous comprenons déjà mieux. Civilisation européenne serait sans-doute plus juste, l’Occident, à proprement parler, n’en ayant guère d’autre. Civilisation chrétienne, musulmane, chinoise, hindoue, etc. nous savons ce que cela veut dire. Démocratique est, nous semble-t-il, d’un autre ordre. De grandes civilisations ignorent de toute éternité la démocratie. Elle est, tout au plus, un mode de gouvernement des peuples. Est-elle le pire à l’exception de tous les autres ? Peut-être, à condition d’être contrebalancée par des traditions populaires et d’autres solides institutions qui l’empêchent d’être, à son tour, absolue. Tocqueville a bien dit cela, nous semble-t-il.
Pascal Bruckner : « La seule identité encore autorisée pour les blancs est l’identité de contrition »
Au grand étonnement de ceux qui n’ont pas perdu la raison, une école britannique, cédant à la demande de certains élèves, a décidé de débaptiser son bâtiment scolaire qui portait le nom de Winston Churchill.
Avoir tenu tête à Hitler ne suffit apparemment plus pour avoir sa place dans l’histoire de la lutte contre le racisme. On reproche au grand homme de la bataille d’Angleterre d’avoir tenu à l’endroit des Indiens des propos marqués par les préjugés de l’époque coloniale. Au passage, J.K. Rowling, accusée de transphobie pour avoir rappelé que les femmes ont des menstruations et que les hommes n’en ont pas, a subi le même sort que Churchill.
Dans le même esprit, une commission scolaire californienne a tout récemment décidé de débaptiser une école nommée en l’honneur d’Abraham Lincoln, et cela, au nom de la lutte contre le racisme. Le geste pouvait paraître étonnant. Lincoln n’est-il pas, dans l’histoire américaine, le grand émancipateur des esclaves noirs ? Comment l’antiracisme peut-il se retourner contre lui ? On avait l’habitude de déboulonner les monuments liés aux forces confédérées de la guerre de Sécession, mais depuis quand faut-il s’en prendre à celui qui les avait combattues ? On lui reproche son attitude avec les populations amérindiennes.
Un minimum de bon sens suffira pour voir que les effaceurs versent dans l’anachronisme imbécile, qui n’est pas sans lien avec une forme grave d’inculture. Si Churchill comme Lincoln appartiennent au panthéon des héros de leurs pays respectifs, et sont admirés partout en Occident, ce n’est évidemment pas à cause des préjugés qu’ils partageaient avec leur époque mais pour les grands gestes qui leur permirent, dans des temps tragiques, de sauver la civilisation démocratique. Il ne faudrait pourtant plus voir que les premiers. Notre époque ne veut plus de héros, avec leur part d’ombre, seulement des saints immaculés ou encore des martyrs de la cause diversitaire.
Officiellement, il s’agit de décoloniser la conscience historique occidentale, de la déprendre une fois pour toutes de l’aventure inaugurée avec l’expansion européenne commencée au XVe siècle. L’Occident devrait désormais se regarder exclusivement avec les yeux des descendants de ses victimes. Cela passerait par la reconnaissance d’un privilège accordé aux «minorités» dans la mise en récit de l’histoire collective, notamment dans la reconnaissance de leurs griefs. Racisme, colonialisme, esclavagisme: à travers ces concepts, on fera le procès des peuples occidentaux qui n’auraient désormais pour vocation que de s’engager dans une longue expiation sans rédemption.
On pénètre ici au cœur de l’imaginaire racialiste. D’Abraham Lincoln à Churchill en passant par tous les autres qui n’ont pas aussi bonne réputation, partout l’homme blanc serait le même. On ne reproche plus seulement à ces hommes ce qu’ils ont fait mais ce qu’ils furent: des hommes, incarnant par leur couleur de peau et leur sexe tout le mal dont se serait rendue coupable la civilisation occidentale. Ce n’est plus, dès lors, à partir de leur propre contexte historique qu’il faut aborder l’histoire des pays occidentaux, mais à partir d’un prisme marqué intimement par les traumatismes de l’histoire américaine. L’épuration est commencée et ne s’arrêtera pas.
L’heure serait venue, pour qu’advienne la justice raciale, de partir à la traque à la « suprématie blanche », qui ne désignerait pas seulement les mouvements racistes, mais la structure même des sociétés occidentales. Tel est le nouveau canevas à partir duquel écrire l’histoire. Nulle exagération dans cette analyse, mais un constat : Robin DiAngelo, probablement la théoricienne la plus importante de l’antiracisme racialiste aux États-Unis, écrit que le Blanc, du simple fait d’être blanc, serait raciste, car il aurait été socialisé dans un environnement le condamnant à le devenir. Les deux termes seraient même interchangeables, le Blanc étant nécessairement raciste, le raciste étant nécessairement blanc. Sa culpabilité serait ontologique.
Nos sociétés ne se montreraient fidèles aux idéaux qu’elles professent qu’en se « déblanchissant ». La passionaria de la gauche « woke » américaine, Alexandria Ocasio-Cortez, au moment des déboulonnements de statues à l’été 2020 affirmait qu’au-delà des mérites des uns et des autres, il y avait tout simplement trop d’hommes blancs dans la statuaire de son pays. La « cancel culture » n’est pas seulement le symptôme d’un fanatisme terrifiant, mais l’expression d’une névrose identitaire qui s’est emparée de sociétés où le ressentiment victimaire fait la loi. La liste des figures appelées au bannissement mémoriel s’étendra encore. La gauche « woke » soumet l’ensemble de la société à une logique éradicatrice. Et de peur de paraître racistes, les administrations capitulent et collaborent avec les gardes rouges du régime diversitaire. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Sélection photographique © JSF
On sent la montée d’une guerre ethnique attisée par les extrêmes , les « woke » favorisent l’ascension d’une opposition fratricide menant à la guerre civile.. il semblerait qu’aux US ils facilitent la position de l’ancien président qui veut fonder son parti pro blanc et conservateur.
Affligeant, inquiétant
Autant d’inculture crasse, cela fait peur!
Un nouveau totalitarisme idéologique est en marche, attention !!
Relire Victor Klemperer » la langue du III Reich » édifiant
Comme professeur d’histoire j’ai mal
Merci à Mathieu Bock-Côté Nous en sommes au stade « délicieux » où les autorités nazies brûlaient les livres non conformes en Allemagne,. La suite atroce est connue. Ils ne déboulonnaient pas encore les statues du passé. Déboulonner ou laisser faire par des minorités ultra idéologisées (ultra racisées devrait-on dire dans leur psychose ) est d’une certaine manière plus grave parce que c’est nier radicalement le passé de l’autre, c’est nier sa figure vivante. . Des livres on peut toujours en sauver, les monuments et les œuvres d’art détruits par froide vengeance, laissent un goût amer(des Tuilerie qui brûlent, le château de Saint Cloud, etc.. le vandalisme révolutionnaire) Dirons nous que nous avons montré la voie et maintenant cela nous revient deux siècles après par l’Amérique. Ne pas réagir est gravissime, la lâcheté a toujours nourri la pire des violences. pour le futur. Certes, on ne peut être courageux à la place des autres, mais on peut montrer le chemin , Enfin, pas avec ceux qui nous gouvernent, qui nous montrent le chemin inverse;. Alors qui? .
J’admets encore (mais c’est ma limite) qu’il y ait à Paris une rue Danton et, au carrefour avec le boulevard Saint-Germain la tonitruante statue de Danton, le massacreur assassin des Suisses aux Tuileries et des tueries de prisonniers de septembre 1792.
Mais il existe, dans bon nombre de communes, des rues « Robespierre » et il y a même une station de métro, à Montreuil, qui porte le nom de ce serial killer.
Et il y a même, à Alençon, une « cour urbaine » consacrée à Hébert, l’immonde Jacques-René Hébert, qui n’a rien à envier aux pires nazis et khmers rouges.
Qu’est-ce qu’on fait ?