Par Pierre Debray.*
Cette nouvelle étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite publiée ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels substantiels qui découlent du changement d’époque, et discerné ce qui est devenu – fût-ce provisoirement – obsolète, elle constitue une contribution utile à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
I – En finir avec l’impôt sur le revenu
L’explication de la crise est simple : elle est financière, et si l’augmentation du prix du pétrole l’a déclenchée, si le désordre monétaire l’a aggravée, ils n’ont joué qu’un rôle secondaire -secondaire mais pas subalterne. L’accélération du progrès technique périme de plus en plus vite l’équipement industriel et par un processus dialectique, exige des investissements dans la recherche, toujours plus importants. Les peuples se sont habitués à une amélioration progressive de leur niveau de vie. Que celui-ci puisse stagner ou même diminuer leur semble intolérable. L’idéologie sécuritaire exige que l’existence humaine soit purgée du risque. Les socialistes ont bonne mine qui reprochent aux Français d’exiger d’être débarrassés des voleurs et des assassins par tous les moyens. Il est certain que la délinquance est bien moindre qu’il y a un siècle. Les statistiques n’y changeront rien. Il y a un siècle, il paraissait normal à un parisien qui se hasardait hors de chez lui, à pied, après la tombée de la nuit, de se faire détrousser. Tout aussi normal que de n’être pas protégé contre la maladie ou le chômage. L’idéologie sécuritaire a persuadé l’homme occidental qu’il devait ne plus craindre les aléas de l’existence. Il serait totalement pris en charge ! Comment admettrait-il qu’un malfrat force sa porte ? Si l’on ajoute que les dirigeants soviétiques, qui imposent à la population un niveau de vie de l’ordre de celui que nous avions en 1950 (ce n’est tout de même pas la misère), mènent à grand train la course aux armements et qu’il faut bien les suivre, l’on comprend que les Etats, les entreprises et les particuliers soient endettés jusqu’au cou.
Tout allait bien aussi longtemps que le coût de la dette restait inférieur à la rentabilité du capital de l’Etat, de l’entreprise ou du particulier. C’est ce que les économistes nomment l’effet de levier positif. Que le mouvement s’inverse et nous avons un effet de levier négatif. Ou bien l’on n’investit plus assez pour ne pas accroître le poids de la dette et la compétitivité s’affaiblit, la rentabilité du capital devient nulle, ou l’on continue de s’endetter jusqu’au jour où il faut, afin de payer les frais financiers (intérêts), obtenir de nouveaux prêts. Pour les entreprises c’est le dépôt de bilan, pour les Etats, la tutelle du fonds monétaire international (FM I). Mais quand toutes les entreprises et tous les Etats, ou presque, se retrouvent en rouge dans les comptes bancaires, cela risque de finir très mal. Le système financier, en dépit du partage des risques, menace ruine. Les bilans se chargent de créances que l’on dit « douteuses », encore qu’il n’y ait pas le moindre doute sur leur valeur. Les prêteurs passent du laxisme à l’avarice et pour emprunter il faut accepter des conditions draconiennes. Ce qui n’arrange rien.
L’inflation, qui est une épargne forcée dont le profit est transféré aux emprunteurs, comme l’avait constaté Keynes, constitue le détonateur de cette machine infernale. Quand l’inflation est de 10 %, le travailleur qui reçoit 5.000 F en valeur nominale ne dispose, en pouvoir d’achat que de 4.500 F. Qui récupère ces 500 F ? En fait, l’entreprise, à condition qu’elle se soit endettée. Chaque fois qu’elle remboursera 5000 F d’emprunt, cela correspondra à 5.500 F. de son chiffre d’affaires, gonflé artificiellement par l’inflation. Ce travailleur aura perdu 500 F. et l’entreprise en aura gagné exactement autant. Certes, ce n’est pas à lui qu’elle l’a pris mais à son créancier. Pourtant, si l’on observe l’ensemble du circuit des échanges, le résultat est le même. Certes un ajustement se produit, les salaires augmenteront de 10 % au bout d’un certain temps. Quant aux créanciers, ils ne continueront à prêter de l’argent. que s’ils obtiennent (mais cela ne vaut pas que pour l’avenir) un taux d’intérêt qui dépasse le taux d’inflation.
N’empêche qu’il y a eu pendant un temps plus ou moins long une épargne forcée dont bénéficient industriels et commerçants. Les salariés et les banquiers ne sont pas stupides. Ils savent qu’ils sont victimes de l’inflation. Comment s’en prémunir ? En anticipant. Les salariés chercheront à obtenir, dès le 1er janvier, des augmentations correspondant au maintien du pouvoir d’achat pendant six mois ou un an, si bien que leur pouvoir d’achat n’aura pas été seulement maintenu mais qu’il se sera accru, . encore que cet accroissement diminue avec le temps. Même chose pour les prêteurs. L’inflation ne joue plus son rôle d’épargne forcée. Elle devient un facteur de désinvestissement, les salaires et les frais financiers augmentant plus vite que les prix.
Ce raisonnement paraîtra aux doctes trop simpliste et aux autres un peu compliqué. Mais dans la pratique, les choses se passent bien ainsi. On comprend maintenant pourquoi la règle qui voulait qu’à une hausse du chômage corresponde une baisse de l’inflation, ne joue plus. Nous avons à la fois une hausse du chômage et de l’inflation. Le débat qui consiste à se demander s’il faut accorder la priorité à la lutte contre l’un ou contre l’autre n’a aucun sens. Une infection qui provoque de la fièvre et des boutons ne peut être soignée qu’en s’attaquant à la cause du mal et celle-ci, on commence à s’en apercevoir, est l’endettement excessif des Etats et des entreprises.
Pour les entreprises, il faut rétablir à un haut niveau la marge brute d’autofinancement qui représentait en 1973 16,9 % de la valeur ajoutée et est tombée à 10,6 % en 1981 et à 9,6 % en 1982. Cela ne sera possible qu’en restituant aux fonds propres (c’est-à-dire aux ressources financières que l’entreprise dégage, grâce au profit) un taux de rentabilité supérieur à celui de l’inflation. Or en 1981, il n’était que de 5,1 % contre 12 %, en 1973. Il faut stopper une hémorragie qui détruit la substance de notre industrie.
Même si le plan Delors ramenait l’inflation à 8 %, la rentabilité des fonds propres sera inférieure, selon les prévisions, à 5 % et sans doute voisine de 4 %. Dans le meilleur des cas, la perte serait de 3 %. D’où l’angoisse de M. Gattaz, qu’il ne peut faire partager à la grande masse des Français qui ne connaissent que deux indicateurs, d’ailleurs truqués, l’évolution du chômage et l’inflation.
Il faut diminuer les charges des entreprises mais cela ne suffit pas. Il faut aussi maintenir le niveau de leur production. en privilégiant les exportations par rapport à la consommation intérieure. Ce n’est pas ce qui se passe. Nos exportations restent quasi stationnaires (+ 0,5 % en juin) tandis que la consommation intérieure ne diminue que lentement. Certes le plan Delors va la faire baisser et la balance du commerce extérieur s’améliorera, comme toujours en période de récession puisque notre industrie produisant moins achètera moins de matières premières. Nous sommes au rouet. Certes, les Français vivent au-dessus de leurs moyens mais une baisse brutale du niveau de vie risque de provoquer des secousses révolutionnaires d’autant plus violentes. qu’elle entraînerait une hausse du chômage et des faillites, insupportable (l’exemple du Chili est instructif). Et de surcroît, elle diminuerait encore la rentabilité des fonds propres des entreprises, donc irait à l’encontre du ‘out poursuivi. On peut s’attaquer à la Sécurité Sociale, en limitant impitoyablement les prestations, sans que les effets pervers soient trop graves (sauf pour les professions de :a santé et les industries pharmaceutiques qui seraient touchées de plein fouet) mais la réaction des syndicats serait dure et finalement il ne s’agirait que d’un palliatif.
D’où la nécessité d’en finir avec les « remèdes de cheval » qui laissent le patient si affaibli qu’il ne s’en remet pas. Nous n’en sortirons que par des réformes radicales : réforme de notre système fiscal, réforme de la Sécurité Sociale, réforme du système scolaire. II convient d’en exposer le principe.
LA RÉFORME
FISCALE
Reggan l’a compris : l’impôt sur le revenu est archaïque, inadapté et dangereux. Il convient de le réduire progressivement afin d’arriver, dans des délais raisonnables, à sa disparition. Il frappe indistinctement :e revenu sans tenir compte de son emploi. D’où son caractère brutal. indifférencié, qui en fait un mauvais instrument. M. Delors l’augmente dans l’espoir de réduire la consommation mais nul n’ignore qu’une proportion de Français, plus ou moins grande, puisera dans son épargne. Ce qui réduira d’autant l’investissement. L’impôt sur le revenu frappe d’ailleurs indistinctement : la cigale et la fourmi. Celui qui dépense tout ce qu’il gagne et celui qui met de l’argent de côté.
Laissons les Français maitres d’employer leur revenu comme bon leur semble. Que vont-ils faire de leur argent ? Deux parts, l’une pour consommer, l’autre pour épargner à court, moyen ou long terme. L’impôt sera donc prélevé après que chaque ménage aura fait cette répartition et non avant, comme c’est maintenant le cas. Il le sera sur la consommation et sur le capital, fruit de l’épargne d’une ou de plusieurs générations. Un tel système, nous allons le constater, a l’avantage de permettre à l’Etat d’orienter l’économie en modulant, selon les objectifs qu’il se fixe, les taux d’imposition, et ce en respectant la liberté des ménages. (À suivre, demain vendredi) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
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