Par Pierre Debray.*
Cette nouvelle étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite publiée ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels substantiels qui découlent du changement d’époque, et discerné ce qui est devenu – fût-ce provisoirement – obsolète, elle constitue une contribution utile à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
LA RÉFORME
FISCALE (Suite)
a) – L’impôt sur la consommation
C’est, bien sûr la T.V.A., impôt indolore entré dans les mœurs mais qui déplaît à la gauche. Elle le prétend injuste. Il peut l’être s’il est mal utilisé. Tout dépend des taux, qui doivent être faible pour les produits de première nécessité, plus élevé pour le superflu devenu indispensable (les désirs que la publicité a transformés en besoins) et considérable sur les désirs qui ne sont pas encore perçus comme des besoins (le magnétoscope par exemple), du moins pour le plus grand nombre. Un autre critère doit être retenu : la T.V.A. sera plus forte pour les produits que nous ne fabriquons pas (les appareils photos) que sur ceux que nous ne produisons qu’en quantité insuffisante (les automobiles) et relativement faibles dans les secteurs où nous produisons à des prix compétitifs suffisamment pour répondre à la demande du marché intérieur. Ce qui entraînerait sans doute certaines « injustices ». La T.V.A., bien utilisée frapperait plus fortement certains articles textiles à bon marché, fabriqués en Asie, que la haute couture. Mais dans l’ensemble, rien n’empêche qu’une majoration, même sensible, de cet impôt épargne, dans une large mesure, les bas revenus, non imposables. De légères augmentations des salaires compenseraient la hausse inévitable des prix.
Bien entendu, l’augmentation de la T. V.A. devrait s’accompagner de la réforme de la Sécurité Sociale, si bien que la hausse des prix sur le plan intérieur ne serait que faiblement répercutée à l’exportation. La T.V.A. frappe aussi bien les produits que nous fabriquons que ceux que nous importons et, comme je l’ai montré, l’augmentation devrait peser surtout sur les importations. Nous pourrions réduire les achats de magnétoscopes japonais où les voyages organisés à l’étranger par des taux prohibitifs, sans nous rendre odieux ou ridicules. Il est normal que quelqu’un qui souhaite acheter un magnétoscope ou s’offrir ses vacances à l’étranger, choses dont il pourrait parfaitement se passer, soit astreint à l’impôt somptuaire, de tradition dans nos pays. De toute façon, il conviendrait de prévoir une transition assez douce : la T.V.A. augmentant et l’impôt sur le revenu diminuant progressivement.
b) – L’impôt sur le capital
Il est évident que la disparition de l’impôt sur le revenu, même si elle s’opère sur plusieurs années, apparaîtrait comme un « cadeau aux riches » si elle ne s’accompagnait pas d’un impôt sur la capital. En fait celui-ci existe, mais sous des camouflages : l’impôt sur les plus-values fiscales institué par Giscard et l’impôt socialiste sur les grandes fortunes. Mais ce sont de mauvais impôts puisque non sélectifs (les plus-values) ou antiéconomiques (l’impôt sur les grandes fortunes qui favorise la spéculation sur les œuvres d’art, les forêts ou le vin). H convient de se défier des concepts vagues, imprécis. Par capital, on entend d’ordinaire la fortune accumulée sans se préoccuper de son origine, de sa nature et de son usage. Certes la fiscalité ne peut être rétroactive. La fortune d’un Giscard provient du pillage de l’Etat opéré impunément par trois générations. Mais il y a prescription. Par contre, on peut empêcher, à l’avenir, ce pillage. On y parviendra en distinguant le capital investi dans l’outil de travail qui doit être protégé, le capital spéculatif et l’épargne familiale. Le capital spéculatif lui-même n’est pas nécessairement condamnable. Un monsieur qui prend des actions dans une entreprise à hauts risques (par exemple, la fabrication d’un produit nouveau dans un secteur de pointe) gagnera beaucoup d’argent si l’affaire réussit. Le fisc ne saurait le traiter de la même manière que celui qui joue contre le franc. Il importe de tenir compte également de l’utilisation des revenus du capital. Réinvestis ou placés ils sont utiles au pays. Gaspillés en dépenses, ils deviennent une offense faite aux pauvres. Donc, l’impôt sur le capital sera complexe afin de s’adapter aux situations. Cet inconvénient inévitable — tout impôt simple se révèle injuste et surtout développe des effets pervers — en fera l’instrument d’une politique économique souple.
Les capitalistes resteront libres de spéculer ou d’exploiter des rentes de situation, mais ils seront plus lourdement imposés que ceux qui créeront de la richesse. De ce point de vue, l’impôt ne doit pas épargner l’outil de travail mais si le patron utilise ses bénéfices pour mener la dolce vita, il sera plus durement touché que s’il modernise ses équipements. L’investissement productif donnerait droit à un crédit d’impôt par exemple.
L’impôt sur le capital présente, en outre, l’avantage de supprimer l’impôt sur les successions, qu’il engloberait, pour autant que le capital déclaré ne soit pas inférieur à l’évaluation lors de la liquidation de la succession, mais alors il s’agirait d’un simple redressement. Si l’on ajoute qu’il limiterait l’inquisition fiscale et permettrait d’instituer le secret bancaire, comme en Suisse, puisqu’en définitive la transparence des patrimoines s’établit plus facilement que celle des revenus, l’on s’explique mal la répugnance des Français à admettre l’impôt sur le capital.
Sans doute reste-t-il le méchant souvenir des campagnes de Caillaux qui lui conserve un petit côté démagogique, assez déplaisant. En le liant à l’abolition des droits de succession, du moins en ligne directe, et à la reconnaissance du secret bancaire, on réduirait les obstacles psychologiques. En tout cas, il est nécessaire de repenser notre fiscalité si l’on veut en faire un outil efficace de régulation de la consommation et du capital. La France ne doit pas conserver un impôt sur le revenu, de type révolutionnaire, puisqu’il se veut égalitaire, s’appliquant uniformément à tous les citoyens, selon des barèmes arbitraires. Il faut une fiscalité résolument sélective qui favorise les formes de consommation et d’enrichissement les plus favorables au bien public. Si nos lecteurs ont mieux à proposer, le débat reste ouvert. (À suivre, lundi 22) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
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