PAR PIERRE BUILLY.
Don Camillo en Russie de Luigi Comencini (1965)
L’opium du peuple.
Don Camillo en Russie est tout de même le cinquième opus d’une série qui tirait à la ligne depuis un bon moment.
À dire le vrai, dès le deuxième, Le retour de Don Camillo, pourtant réalisé, comme le chef-d’œuvre qu’est le premier, par Julien Duvivier, dès le deuxième, donc, si la tendresse et la qualité d’interprétation demeuraient, la fraîcheur, l’invention, l’ironie baissaient un peu de pied. Mais bon ! La recette était éprouvée et les spectateurs se régalaient des aventures rocambolesques de Fernandel et de Gino Cervi.
Pendant des années, les chaînes de télévision majeures ont présenté rituellement l’intégralité de la série, d’abord tout au cours de l’année, puis seulement durant les mois d’été. Et désormais ce sont les petites chaînes périphériques qui s’y collent : ça ne doit pas coûter grand chose, ça permet d’assurer des quotas de diffusion et ça n’a pas même besoin d’être colorisé. Et il y a toujours un public nostalgique qui vient y jeter un œil ; la preuve ? je me suis encore laissé emporter.
Et j’ai trouvé que l’exotisme de Don Camillo en Russie – ou, peut-être, la patte de Luigi Comencini, qui avait remplacé Carmine Gallone, auteur des numéros 3 et 4 -, cet exotisme narquois qui envoie les deux adversaires/complices en Union soviétique (reconstituée en studio, évidemment) redonnait de la vigueur à un concept en voie d’épuisement.
Je ne dirais évidemment pas la même chose si j’avais 20 ans (ou même 30, ou même 40), mais le communisme et l’emprise qu’il avait sur l’immense territoire de l’Est où il avait établi ses pénates, ont été la grande affaire, le grand souci de ma génération. La grande anxiété et, on peut le dire aussi, la grande terreur. Dès lors, il était extraordinaire et assez sympathique de dresser un tableau sans complaisance mais pacifiant sur ce qui se passait entre Moscou et Vladivostok à l’heure où Nikita Krouchtchev était évincé et remplacé par Leonide Brejnev, l’homme aux sourcils mirobolants.
Sympathie pour le peuple russe, si attachant et si mélodieux (ah, l’arrivée de la délégation italienne aux accents de Volare de Domenico Modugno est un moment délicieux), mais aussi regard sans complaisance sur la suspicion généralisée et les persécutions religieuses omniprésentes. Le christianisme (dans sa variété schismatique orthodoxe) a, de fait, été combattu, pourchassé, traqué sans pouvoir, pour autant, être éradiqué : à deux doigts de la mort, la vieille baba demande à ne pas être abandonnée…
Et ce qui est bien, c’est que le discours n’a rien de caricatural ou d’outrancier : à un Don Camillo volontiers sanguin et agressif, le Christ répond bienveillance et miséricorde ; c’est un assez joli regard sur la complexité du monde…
Cela dit, il ne faudrait pas croire que Don Camillo en Russie est un film puissant et profond : sauf à guetter ici et là de petites gouttes intéressantes, c’est tout de même – l’ai-je assez dit ? – le numéro 5 de la série… ■
DVD à moins de 5 €;o
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