PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro du 19 février. Elle montre excellement à quel type de subversion révolutionnaire nous avons affaire. Nous savons bien ici comment les révolutions courent immanquablement aux extrêmes. Comment elles dévorent les modérés, toujours tentés par les accommodements. Nous voyons bien aujourd’hui comment la révolution en cours, car nous vivons une révolution, met en cause la totalité – personnelle et collective – de ce que nous sommes, de ce qui nous constitue. Sauf à penser que nous ne sommes rien, nous avons désormais à sauver notre identité intégrale contre un néo-totalitarisme parfaitement destructeur. Mathieu Bock-Côté place ce combat à la hauteur qui convient.
Islamo-gauchisme : « Quand une opinion se déguise en science »
Le CNRS a voulu disqualifier la proposition de Frédérique Vidal en expliquant que le concept d’islamo-gauchisme n’était pas scientifique. Cela suffirait apparemment pour ne plus avoir à parler de la réalité qu’il désigne.
Frédérique Vidal a osé nommer ce qu’il ne fallait pas nommer: l’influence insensée de l’islamo-gauchisme sur l’université. Le terme peut sembler maladroit, et l’est peut-être, d’autant qu’il est limitatif: l’islamo-gauchisme n’est qu’une des facettes de ce que le jeune intellectuel québécois Philippe Lorange a nommé le « dogme universitaire » qui partout, dans le monde occidental, dénature l’enseignement supérieur, surtout dans les départements de sciences sociales, idéologisées de part en part. Qui espère y faire carrière doit obligatoirement adhérer à ce dogme pour trouver sa place dans l’institution. On pourrait parler plus largement de l’orthodoxie diversitaire. En Amérique du Nord, on s’inquiète plus largement de l’emprise «woke» sur l’université.
Sans surprise, la nomenklatura académique s’est braquée contre Frédérique Vidal en l’accusant d’employer un concept forgé par l’« extrême droite ». La manœuvre est à ce point convenue qu’elle pourrait faire rire de bon cœur. Y a-t-il encore un esprit sérieux pour se laisser bluffer par cette technique d’épouvante ? L’extrême-droitisation du désaccord a pour fonction d’étiqueter de telle manière une position qu’elle devient indéfendable socialement et médiatiquement, quels qu’en soient la valeur et les mérites propres. On n’apprend absolument rien d’une idée, lorsqu’elle est étiquetée à l’extrême droite, sinon qu’elle déplaît à la gauche idéologique, qui colle ce terme à ses ennemis en voulant ainsi imprimer sur leur front la marque du diable.
Mais plus encore, la nomenklatura du CNRS a voulu disqualifier la proposition de la ministre en expliquant que le concept d’islamo-gauchisme n’était pas scientifique. Cela suffirait apparemment pour ne plus avoir à parler de la réalité qu’il désigne. Traduisons : le terme n’est pas estampillé par les autorités autoproclamées de la science politique publiquement subventionnées donc il serait irrecevable. Cette réplique pleine de morgue était d’autant plus loufoque qu’au même moment la même nomenklatura réaffirmait la légitimité des concepts issus des études «postcoloniales» comme le «racisme systémique», le «privilège blanc», la «fragilité blanche», la «culture du viol», la « fluidité identitaire », le « mégenrage » et bien d’autres. Est hégémonique, dans l’université, celui qui peut déterminer de la scientificité d’un concept ou non.
Ces gens sont de grands farceurs. Ou de grands fraudeurs intellectuels. Les deux sont possibles. Mais on y verra, assurément, une autre preuve de l’idéologisation du rapport à la science dont se réclament de plus en plus de militants professionnels qui font carrière à l’université. On ne compte plus ces intellectuels qui n’acceptent désormais de participer à la vie publique qu’à titre d’experts. Ils ne participent pas au débat, ils le surplombent, en corrigeant la copie des mauvais élèves qui ne comprennent pas encore où en est rendue la science telle qu’ils prétendent la dire. Bardés de leurs titres pompeux comme autrefois les généraux soviétiques portaient leurs médailles à la boutonnière, ils se félicitent de leur savoir dans l’espace public, comme s’ils devaient éduquer une population renâclant devant les évolutions de la connaissance.
On ne fera pas l’erreur de croire que cette dénaturation du savoir est récente. Ce qu’on appelait encore hier le postmodernisme a ravagé l’université américaine à partir des années 1980. Au nom de la décolonisation des savoirs, il fallait congédier les grandes figures du canon littéraire occidental. Homère, Platon, Aristote, Shakespeare et bien d’autres devaient y passer. Au fil des ans, ce point de vue s’est institutionnalisé à travers une série de nouveaux champs d’étude qui prétendaient transformer le savoir et ses conditions de production, pour permettre aux « dominés » de définir eux-mêmes leur inscription intellectuelle dans le monde occidental. Ces disciplines en toc, qui troquaient le savoir pour la subjectivité victimaire, engendraient un savoir frelaté. L’islamo-gauchisme académique en est une des nombreuses manifestations.
La multiplication des canulars académiques dans le monde anglo-saxon au fil des dernières années, a confirmé à quel point la validation par les pairs relevait de la tartufferie intellectuelle. N’oublions jamais que c’est au nom de la science, aujourd’hui, qu’on décrète l’inexistence de l’homme et de la femme, congédiés au nom de la fluidité de l’identité de genre. On y verra une forme de lyssenkisme adaptée à notre temps. Une époque qui traite Judith Butler comme une grande philosophe marche sur la tête. C’est ce même lyssenkisme qui amène des démographes aux petits bras à nier les mutations démographiques de notre temps comme s’il était possible de recouvrir la réalité des choses derrière un brouillard de définitions modifiées et de statistiques truquées. Il est urgent, aujourd’hui, de démystifier les faux savants. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
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