Par Pierre Debray.*
Cette nouvelle étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite publiée ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels substantiels qui découlent du changement d’époque, et discerné ce qui est devenu – fût-ce provisoirement – obsolète, elle constitue une contribution utile à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
IV. – LES INTÉRÊTS DU « CAPITAL FRANCE »
Le problème posé par les prestations sociales est sans doute le plus délicat. Il n’est pas le plus difficile.
Tout le monde s’accorde à reconnaître que le pourcentage du produit intérieur brut qu’elles absorbent ne peut plus être dépassé. Il faut réaliser des économies, grâce à une meilleure gestion, et M. Bérégovoy s’y emploie de son mieux.
Instaurer la rigueur = premier impératif.
Sur des points importants, il se montre plus lucide ou plus courageux que ses prédécesseurs. Il n’a d’ailleurs qu’un faible mérite, car dans ce domaine comme dans les autres, le septennat de M. Giscard s’est révélé .désastreux. Financer les hôpitaux en fonction du nombre de lits occupés encourageait le gaspillage. M. Bérégovoy vient de réformer ce système absurde en adoptant le principe d’une dotation accordée chaque année, aux directeurs d’hôpitaux. Au risque de faire hurler les « grands patrons », il est convenable de faire entrer dans la prescription thérapeutique la notion de coût. 11 est des progrès, souhaitables sans doute mais trop onéreux, dans l’état présent de l’économie, compte tenu du petit. nombre de cas concernés. S’il est vrai que la santé n’a pas de prix, elle a un coût, dont les médecins doivent tenir compte. Pour sauver une centaine de vies humaines ou les prolonger, il est impossible de prendre le risque d’en sacrifier, d’ici quelques années, des milliers, du fait d’un effondrement de notre système de soins.
Mais surtout, il importe de réviser la carte médicale. La répartition géographique des praticiens est aberrante. Elle contribue à la désertification des campagnes. On n’y remédiera que dans le cadre d’une réforme radicale de nos structures ‘universitaires. Pour l’instant, nous n’aborderons pas le sujet. Par contre chaque conseil général a voulu se pourvoir d’un centre départemental hospitalier, parfois luxueux, souvent suréquipé. L’on a accumulé les « lits » inutiles et mal distribués, des appareils coûteux, qui ne sont pas utilisés à plein temps, ce qui est d’autant plus fâcheux que ce matériel se périme très vite et qu’il convient de l’amortir rapidement. La mise en place d’une « carte sanitaire » présente des dangers. Elle limite le libre choix des malades et contraint les familles à de longs déplacements. Là encore, les exigences financières doivent malheureusement l’emporter sur d’autres considérations. L’on n’y serait pas contraint si la non-gestion giscardienne ne nous y avait pas conduits.
Beaucoup d’autres économies pourraient être réalisées. Nos hôpitaux sont encombrés d’étrangers, entrés souvent en fraude, qui donnent de fausses adresses et se font soigner aux frais des Français. Que de femmes d’immigrés ne viennent chez nous que le temps d’accoucher ou d’obtenir pour des enfants, dont nul n’est sûr qu’ils sont les leurs, des soins longs et onéreux ! Aussi déplorable que ce soit, nous ne sommes plus en mesure de supporter le poids financier de la santé des familles du tiers monde. La France ne peut devenir l’hôpital général de l’Afrique. De même trop de vieillards sont hébergés par les hôpitaux, parfois abandonnés comme des chiens par des enfants qui disposent des moyens financiers de s’en occuper. Dans notre période de prospérité, l’effort nécessaire au maintien à domicile des vieillards n’a pas été accompli. Pas davantage, l’on s’est soucié de maintenir chez eux les malades. L’hospitalisation constituait une solution de facilité, même si elle provoquait d’énormes gaspillages.
Faut-il réduire les prestations sociales ?
On pourrait multiplier les exemples. Mais même en introduisant plus de rigueur dans le fonctionnement des caisses, l’on ne parviendra qu’à des résultats précaires et sans commune mesure avec les déficits qu’il faut à tout prix résorber. Les gouvernements qu’ils soient « libéraux » ou « socialistes » s’en tiennent toujours .à des mesures conjoncturelles. D’où de cuisants échecs.
Ainsi M. Delors avait imaginé qu’il lui suffirait, pour vaincre l’inflation, d’imposer à l’économie une « cure de refroidissement », comme si la pauvrette n’était pas déjà presque morte de froid. Remède aussi classique que la saignée, du temps de M. Purgon. C’est oublier les causes véritables de l’inflation, qui résident dans la trop faible rentabilité de l’investissement, et l’accumulation des frais financiers, qu’il faut bien répercuter dans les prix de vente. La sanction ne se fera pas attendre. La quatrième dévaluation est prédite, par tous les observateurs financiers, pour le printemps prochain, le seul espoir de M. Delors restant d’obtenir de l’Allemagne qu’elle la dissimule au moyen d’une réévaluation du mark, dont les effets psychologiques seraient moins graves. Il en va de même des prestations sociales. Les gaspillages existent. Il est nécessaire de les réduire. Cela prendra du temps. Alors, il reste la réduction des prestations sociales. Jamais Giscard et Barre n’auraient osé s’engager dans cette voie. Ce n’était pas l’envie qui leur manquait mais le courage, Reconnaissons qu’il en faut moins à M. Bérégovoy. Franchise de 20 F sur la journée d’hospitalisation, non remboursement des médicaments dits de « confort », diminution des allocations chômage et augmentation limitée des allocations familiales, ont permis de réaliser des économies, malheureusement insuffisantes. Est-il possible d’aller plus loin ? Sans doute, pas. La France entre en période préélectorale. Tout se jouera en 1986, lors des législatives. Les socialistes le savent. Le courage, en démocratie, se déploie dans des limites étroites.
Est-il souhaitable d’aller trop loin, dans ce sens ? Les hésitations de Madame Thatcher s’expliquent par la crainte de convulsions sociales. Mais aussi pour des raisons économiques. En période de crise, les prestations sociales jouent le rôle d’amortisseurs. A trop les réduire, on prend le risque de provoquer une récession d’une telle ampleur qu’aucun pays ne serait capable de la supporter. M. Reagan a compris qu’en allant trop loin il compromettait la reprise économique. Tout assuré social est un consommateur. Moins il consomme (puisqu’obligé de dépenser davantage pour sa santé) et moins vite les stocks s’écoulent. Prétendre le contraire relève de la démagogie. Il ne faut pas oublier que l’Etat providence n’est pas né d’un brutal accès de philanthropie du grand capital. Il ne s’agit pas davantage d’une « conquête sociale » des travailleurs. Cessons de ruser. L’Etat providence constituait l’unique réponse qu’une société libérale pouvait apporter à la grande dépression de 1929. Qu’il transforme cette société de l’intérieur et la rende totalitaire, n’y change rien. Parce que l’A.F. a pour premier souci la défense des libertés ou plutôt leur reconstitution, dans la mesure où elles n’ont cessé, depuis 1789, de s’amenuiser, nous sommes sans doute hostiles à l’Etat providence en raison précisément de la dérive totalitaire qu’il implique. Cela ne signifie nullement que nous trouvons qu’il y a trop de justice sociale, dans ce pays. Au contraire des libéraux, nous pensons qu’il n’y en a pas assez. Aussi sommes-nous hostiles à toute politique, y compris l’actuelle politique socialiste, qui aboutit à la réduction des prestations sociales, en matière de santé, d’assurance vieillesse, d’allocations familiales ou de chômage. Les mesures prises dans ce sens sont anti-économiques, injustes et l’apparent « courage » qu’elles supposent dissimule la lâcheté fondamentale des démocrates. Ceux-ci n’osent pas s’attaquer aux causes structurelles du déficit croissant du budget social de la nation, de la même manière qu’ils répugnent à combattre efficacement l’inflation. La raison en est simple. Cela mettrait en cause l’idéologie révolutionnaire.
Rejeter l’infantilisme
de l’assistance
Que reprochons-nous au système des prestations sociales ? Avant tout, de transformer le citoyen en enfant assisté de la naissance à la mort. Un enfant est irresponsable. Il ne compte pas. Comment le lui reprocher ? C’est précisément le rôle des éducateurs que de lui apprendre à devenir responsable, à ne plus dire ingénument que tout est possible tout de suite et qu’il peut satisfaire, sans effort, ses caprices. L’éducation lui permet, quand elle est réussie, d’accéder sans rupture, à l’âge adulte. Il est- évident qu’un système qui infantilise ses usagers doit nécessairement tomber en faillite. C’est ce qui se passe, en ce moment. D’où la nécessité de restituer ses responsabilités donc ses libertés —les deux sont liées — au citoyen prestataire. Il est significatif que les fonctionnaires de la Sécurité sociale utilisent, pour parler de nous, le terme d’assujettis. Nous sommes donc bien en présence d’un système qui asservit les Français.
Rien là que de nécessaire. L’Etat providence est le produit d’une idéologie qui conjugue l’individualisme et le collectivisme. En U.R.S.S.,le collectivisme déchaîne l’individualisme, chacun se débrouillant grâce au travail noir, à la fraude, à la fauche, à la concussion. Dans le « monde libre », à l’inverse, l’individualisme engendre le collectivisme. Des régimes, d’apparence opposés, marchent à la rencontre les uns des autres. Nationalistes, nous refusons cette dialectique des faux contraires. Nous tenons que tout homme naît héritier. Il possède, en indivision, le patrimoine accumulé au long des âges, par sa tribu, ou sa nation. Certes, il existe des faibles et des puissants, des pauvres et des riches mais d’évidence le petit Français, à sa naissance, reçoit un héritage beaucoup plus précieux que le petit hottentot. Au risque d’être traité de raciste, cela me semble juste. Depuis plus de mille ans, des générations ont travaillé à défricher, à cultiver, à bâtir. Elles ont forgé les instruments intellectuels et matériels du développement technique dont profite aujourd’hui le petit Français. Ce capital accumulé est infiniment supérieur à celui que ses ancêtres ont légués au petit hottentot. L’on y peut rien changer, à moins que le petit hottentot ne s’empare un jour de l’héritage du petit français. (À suivre, lundi 1er mars) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
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