PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro du 27 février. La dénonciation que nous avons notée en titre y est profonde, vigoureuse et radicale. En nommant l’emprise de « l’islamo-gauchisme » sur l’université, Frédérique Vidal a lancé un débat qui en est à son début. Qui roulera même si le Pouvoir décidait de le stopper. Il ne faut pas laisser retomber la pression !
« Une dangereuse idéologisation du savoir »
Il n’est pas certain que Frédérique Vidal était pleinement consciente de l’ampleur de la crise qu’elle allait déclencher en nommant l’emprise de «l’islamo-gauchisme» sur l’université. Il fallait pourtant s’y attendre. Ce n’est pas simplement un corporatisme jaloux de ses privilèges qu’elle vient de dévoiler mais l’infrastructure institutionnelle et publiquement subventionnée de ce qu’il faut bien nommer le pouvoir sur les représentations collectives de la gauche idéologique. Le débat aura avantage à explorer la crise bien plus vaste qui touche à la situation des sciences sociales et qui même, les déborde.
Ils sont nombreux à avoir théorisé le combat métapolitique mais ils se contentaient trop souvent de croire qu’il se menait de manière désincarnée, sans s’intéresser aux structures institutionnelles assurant la production du savoir social autorisé. L’université dispose d’un pouvoir immense: celui de forger les concepts permettant de déterminer ce que nous sommes en droit de tenir pour réel. Elle dispose du prestige du savoir estampillé à prétention scientifique. De ce pouvoir, elle abuse. Ses concepts les plus loufoques percolent dans tous les domaines de l’existence et façonnent notre perception intime, et même la construction psychologique des jeunes générations, qui en viennent, par exemple, à douter de l’existence de l’homme et de la femme. Ceux qui ne prirent pas au sérieux lorsqu’il le fallait les élucubrations de la théorie du genre sont obligés aujourd’hui, pour ne pas avoir l’air réactionnaires, de répéter ses âneries.
Ainsi, en Amérique du Nord, ce n’est plus seulement dans les départements de sociologie les plus excités qu’on parle de racisme systémique et de privilège blanc. D’ailleurs, dans les grandes entreprises, on se fait désormais une fierté d’imposer aux employés des ateliers de formation qui sont en fait des séances de rééducation, où les Blancs sont invités à devenir moins blancs, par exemple. Dès lors, en société, celui qui ne les reprend pas passe pour un benêt et un crétin rétrograde. Il en paiera le prix professionnellement et socialement. On pourrait multiplier les exemples.
Demi-lettrés pompeux
Comment ne pas parler d’une idéologisation du savoir ? À l’origine du politiquement correct actuel, on trouve la volonté explicite de « décoloniser » la grande tradition intellectuelle occidentale et d’abattre les grands livres qui la constituaient: c’est-à-dire de l’affaiblir spirituellement en l’asséchant culturellement. Les humanités ont été déclassées et remplacées par les savoirs à prétention décoloniale. Les champs d’études s’en réclamant se sont multipliés et sont devenus des parcours de carrière privilégiés. Pour s’y déployer, on doit explicitement adhérer aux préceptes idéologiques sur lesquels ils reposent.
Il faut peut-être avoir assisté de l’intérieur aux colloques et discussions rassemblant cuistres et pédants se félicitant entre eux de leurs avancées scientifiques indispensables à la progression des connaissances pour savoir le comique involontaire de ce milieu. Des demi-lettrés pompeux se transforment en militants de carrière sans imaginer qu’ils le sont, et vont même jusqu’à pontifier à la télévision et la radio en expliquant que l’analyse sociologique justifie le bannissement social de ceux qui ne répètent pas le catéchisme du petit milieu. Trop souvent, le commun des mortels, et même la classe politique, se laisse intimider.
L’universitaire militant se voit comme un traqueur de préjugés, et particulièrement de ceux qui seraient incrustés dans la civilisation occidentale depuis la nuit des temps. Il en arrive vite à la conclusion que le monde entier est un système discriminatoire à démanteler, et le dira dans un style ampoulé digne des précieuses ridicules. On nommera ce jargon science. Il bénéficiera, dans l’institution, d’une prime à la radicalité. Le cœur du savoir officiel est pourtant d’une simplicité désarmante: il s’agit chaque fois, pour faire progresser les connaissances, de dévoiler, sans qu’on ne s’en surprenne trop, que l’homme blanc est une figure maléfique au cœur d’une série de systèmes discriminatoires entremêlés qu’il faudrait désormais démanteler.
Il y a quelque chose d’hallucinant à voir des professeurs pétitionnaires spécialisés dans le maccarthysme académique brandir rageusement le principe de la liberté universitaire alors qu’ils ont mené depuis longtemps un travail de verrouillage institutionnel à coups de nominations claniques. La liberté universitaire, ils l’ont pourtant trahie depuis longtemps en éradiquant le pluralisme intellectuel de l’institution. Il n’est pas certain que Frédérique Vidal ait eu conscience de tout cela en lançant sa polémique mais on lui sera reconnaissant de dévoiler une structure de pouvoir qui doit désormais être soumise à un examen critique dont elle voudrait avoir le monopole. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Sélection photos © JSF
Je pense qu’il faut aussi dénoncer Beethoven, prototype de la musique suprématiste blanche, dans les symphonies duquel il n’est jamais fait allusion à la cause des noirs. Dans la neuvième, il aurait pu composer un hymne à la diversité, mais non, il a préféré un hymne à la joie, sous-entendu, la joie d’opprimer les noirs. Et condamner aussi Aristote, qui dans sa Politique n’aborde jamais le sort des minorités opprimées et va jusqu’à légitimer l’esclavage. La liste s’allonge des compositeurs et écrivains dont il va falloir retirer les oeuvres des bibliothèques, des librairies et des concerts. Nous avons tout à gagner à voir remplacer dans les bibliothèques les livres de Platon, Aristote, Descartes, par les oeuvres complètes de Christine Taubira et de Houria Bouteldja.
Voilà un commentaire façon Jean de Maistre, qui éjouit l’esprit. Bravo et merci !
Épurer les bibliothèques et le savoir n’est jamais un signe positif !
Je prône la liberté d’expression et la liberté universitaire, donc le contradictoire, mais quid du contradictoire ds un monde de pensée unique !
Mathieu BOCK- CÔTÉ dans sa chronique d’hier intitulée Une dangereuse idéologisation du savoir, (Le Figaro du 27 février 2021)le révèle lumineusement les ravages de la « noétique “ kantienne , dite de la représentation par la phrase suivante:
« lLuniversité dispose d’un pouvoir immense : celui de forger les concepts permettant de déterminer ce que nous sommes en droit de tenir pour réel. », écrit-il.
Qui dévoile l’Effarante imposture de l’Universié que n’importe quel paysan qualifierait d’aussi stupide que de « mettre la charrue avant les bœufs ! »
En effet, ce n’est pas le concept qui détermine le réel , c’est le réel qui permet à l’intelligence de construire un concept !
« Élémentaire mon cher Watson ! », dirait Sherlock Holmes
On comprend mieux pourquoi l’homme moderne est aveugle…et champion du “ déni de réalité “ !
Oui, la haine de soi est indéfendable, mais pour autant je ne défendrais pas le pan-blanchisme.
En tant que prof de sociologie, j’ai toujours pris appui sur les sociétés de tradition orale (dites primitives) pour mettre en contestation la modernité occidentale depuis qu’elle a liquidé la Chrétienté?
Pour mettre en doute la pathologie qu’est la « civilisation » moderne, cette « dissociété » occidentale, on peut se référer aux hommes d’avant, mais aussi aux hommes d’ailleurs, celles qu’étudient les ethnologues.
Ce que l’on doit reprocher au courant « décolonial », ce n’est pas de critiquer la société occidentale, démocratique, libérale, laïque, etc. Nous aussi.
Ce qu’on doit leur reprocher c’est de le faire au nom d’arguments dont l’origine réside dans les bas-fond du Bronx, qui a pris chez des descendants d’esclaves ayant perdu leur héritage culturel propre et n’ayant plus comme identité que la couleur de la peau, au lieu de s’appuyer sur leur réelles traditions Bamileké, Haoussa, ou Baloubou. Cette idéologie est en réalité profondément « occidentale », fondée sur le ressentiment que suscite les droits de l’homme…
Je suis etho-différentialiste et ani-moderne, c’est pourquoi je respecte les cultures traditionnelles du monde. Je voudrais simplement que ma propre culture reste vivante et je constate que malgré les hurluberlus qui imitent les modes dégénérées des universités américaines, le danger ne vient pas de la ridicules idéologie « postcoloniale », mais du jacobinisme centralisateur du système républicain qui détruit tous nos usages, moeurs et traditions.
Par ailleurs, ce n’est pas les coutumes différentes des immigrés qui nous menacent, mais le trop grand nombre des immigrés que la faiblesse actuelle de la France est incapable de « digérer ». Je serais prêt à supporter burkas, burkinis, et même excision, si vraiment nous fermions la pompe aspirante. il est normal que loin de chez eux, les immigrés veuillent se regrouper en communauté, conserver leurs traditions et ne se sentent pas Français. Ce qui est intolérable c’est d’avoir dépassé de beaucoup le seuil de tolérance de la société française.
La responsabilité ne doit pas être recherché dans la mauvaise volonté des immigrés à s’assimiler (pour ma part, je ne m’assimile pas non plus à toute une série de moeurs qu’on voudrait m’imposer) elle doit être recherchée dans l’imprévoyante politique républicaine. Politique d’abord !
«
D’accord avec Michel Michel: . Moi non plus, je ne veux pas rejouer le pont de la rivière kwaï, c’est donner mon savoir faire, à ceux ayant été nos ennemis, veulent parachever leur œuvre de destruction sur le dos de populations qu’on a soigneusement acculturées. Soyons des constructeurs, jouons l’intelligence et la préservation de la civilisation, non la bêtise imposée aux masses et la dé-civilisation . » Basta con la commedia »
Entièrement d’accord avec toi, cher camarade.