Par Pierre Debray.*
Cette nouvelle étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite publiée ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels substantiels qui découlent du changement d’époque, et discerné ce qui est devenu – fût-ce provisoirement – obsolète, elle constitue une contribution utile à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
VI. – LA GAUCHE FAINEANTE
A mesure que se met en place la société duale, toutes les nations, et pas seulement la française, se divisent en deux peuples, un peuple fainéant, la plèbe, et un peuple travailleur.
Le peuple fainéant ne subsiste que grâce au peuple travailleur. Abandonné à son sort, il serait incapable de gagner son pain et même d’organiser ses jeux. En montre-t-il de la reconnaissance ? Non point. Il s’efforce de le spolier, s’emparant pour en jouir, d’une part croissante des profits des entreprises et des « hauts revenus », en fait les salaires de l’ensemble des producteurs, ouvriers, cadres ou patrons. Comme cela ne lui suffit pas, il l’humilie, soutenant que les « nouveaux modes de vie » sont seuls conformes à la dignité de l’homme. Il est remarquable que l’épiscopat français ait fourni la plus arrogante des justifications idéologiques au peuple fainéant. L’église est passée du côté de la plèbe moderne qu’elle identifie, par une aberration intellectuelle assez surprenante, au « peuple des pauvres », étrange retournement d’une religion qui n’a triomphé, historiquement, qu’en s’identifiant, dans la Rome antique, au peuple travailleur !
Le peuple fainéant vote à gauche
En gros, les clivages politiques tendent à reproduire cette division. Le peuple fainéant vote à gauche et le peuple travailleur à droite. Si le socialisme l’a emporté en 1981, c’est que la plèbe, depuis l’avènement de la Ve République n’a cessé de grossir. Elle est quasi-majoritaire, désormais. Néanmoins tout pouvoir, fût-il socialiste, doit ménager le peuple travailleur. Si celui-ci se met à se croiser les bras, il ne sera plus possible de nourrir et d’amuser la plèbe. Celle-ci se montre déçue et se réfugie dans l’abstention et surtout les couches ouvrières du peuple travailleur, qui, par solidarité de classe ou endoctrinement idéologique, votaient communiste, commencent à rejoindre leur camp. D’où les succès électoraux de M. Le Pen, qui ne s’expliquent nullement par le « racisme » mais par le fait que dans les quartiers ouvriers, les immigrés forment le gros de la plèbe.
La gauche ne se sauvera qu’à condition de reprendre sa place naturelle, l’opposition. En effet la droite au pouvoir accordera beaucoup plus facilement qu’un gouvernement socialiste des faveurs à la plèbe puisque le peuple travailleur pour éviter un retour de la gauche au pouvoir consentira des sacrifices qu’il refuse à M. Mitterrand. Ce qui nous place dans une situation paradoxale : quasi-majoritaire dans le pays, le peuple fainéant doit accepter d’être gouverné par les représentants du peuple travailleur, s’il veut continuer de le spolier et de le brocarder. Mais la tension risque de monter, du fait de la fraction ouvrière ralliée à M. Le Pen en raison du phénomène de promiscuité. Un cadre supérieur, vivant dans un quartier « bourgeois », acceptera plus facilement d’entretenir une plèbe lointaine qu’un petit technicien, soucieux de promotion sociale pour lui-même et ses enfants, dont les voisins s’engraissent à ses dépens, l’empêchant d’atteindre son objectif, une maison individuelle, par exemple. A l’inverse de ce que prétend M. Chirac, l’émergence d’une droite populaire, correspondant à 10 % du corps électoral, risque de devenir une donnée permanente du jeu politique.
Vers un système
soviétique ?
Théoriquement, la société duale devrait engendrer un système assez voisin du soviétique, encore que doté d’une idéologie de « droite ». Seul un pouvoir fort sera capable de contenir dans des limites raisonnables les prétentions de la plèbe. Certes, il convient de se méfier des comparaisons historiques. Cependant, le véritable créateur du césarisme ne fut pas César mais Octave. Héritier du vieux parti plébéien, il sut conserver une fraction des césariens tout en s’alliant contre le véritable successeur de son oncle, Antoine, au parti conservateur. Il est incontestable qu’il existe en France une tradition césarienne, dont se réclament MM. Chirac et Le Pen. Leur grande faiblesse, c’est d’être classés à droite, l’un et l’autre. Un Doriot, né trop tôt pour son malheur, aurait été l’homme de la situation. En effet, la fraction ouvrière du peuple travailleur est communiste. Les « déçus du socialisme » appartiennent au peuple fainéant. Ils ne représentent qu’un intérêt électoral. Mieux vaudrait miser sur les « déçus du communisme ». Se trouvera-t-il un Doriot ou si l’on préfère un Mussolini ? J’imagine que M. Chevènement ne répugnerait pas à jouer ce rôle mais a-t-il assez de culot ? Un énarque est mal préparé à ce genre d’aventure. Mais il n’existe pas d’exemple qu’une fonction historique ne trouve pas un homme pour l’incarner. Seul, en tous cas, un aventurier, venu de la gauche, avec des bataillons ouvriers peut fédérer la France travailleuse, dans le cadre démocratique de la lutte de deux peuples.
Très curieusement un travailliste anglais professeur à Cambridge, Michael Young, dans un livre publié en 1958, « Therise of méritocraty » (l’ascension de la méritocratie) a construit un scénario du futur assez séduisant. Une société démocratique doit, selon lui, fonder le pouvoir sur le mérite et non sur l’hérédité ou la chance. La guerre économique devenant impitoyable une nation ne survivra que si elle sélectionne, de façon scientifique, les futurs talents, à quelque classe qu’ils appartiennent par la naissance.
D’où la nécessité de détecter dès que possible les enfants dont le quotient intellectuel (Q.I.) dépasse 100, de les placer dans des écoles spéciales, de les former grâce aux meilleurs professeurs et de leur donner les postes dirigeants. Le reste, repoussé dans les « basses classes » disposera du SMIC, qu’il pourra améliorer, soit en acceptant les activités manufacturières résiduelles ou des fonctions domestiques, destinées à décharger l’élite des tâches serviles. Il restera aux basses classes l’espoir d’avoir un enfant auquel son Q.I permettra d’accéder à un poste dirigeant. Ce qui les aidera à supporter leur médiocrité, en satisfaisant leur passion de l’égalité.
Il est assurément enfantin de fonder comme le travailliste Young ou, à l’opposé de l’éventail idéologique, notre « nouvelle droite », la sélection sur le Q.I. Cette notion pseudo scientifique relève de l’imposture. L’intelligence ne se calcule pas. En fait, il s’agit d’une batterie de tests, conçus à partir d’un échantillon d’individus particulièrement efficaces, donc d’un système de valeurs lié à notre modèle de développement. Les facteurs culturels entrent en ligne de compte au moins autant que les facteurs génétiques. Ainsi « la nouvelle droite » constate que le Q.I des noirs est, en moyenne, inférieur à celui des blancs. Cependant lorsqu’il s’agit de familles également intégrées à notre culture, qui ont, de ce fait, assimilé le système de valeurs dont dépend le Q.I, la proportion devient pratiquement identique, quelle que soit la couleur de la peau. D’autres éléments jouent. Un fou peut avoir un Q.I élevé. Il faudrait éliminer, pour obtenir l’égalité des chances les facteurs psychologiques, pédagogiques, familiaux, dont certains s’exercent dès la petite enfance et même pendant la vie fœtale, de façon décisive. Tant d’éléments entrent en jeu qu’il est délirant de tout réduire à la génétique. Ceci dit, la sélection s’imposera, de plus en plus durement dans la société qui se construit sous nos yeux et l’on doit reconnaître, avec le professeur Schwartz, qu’elle se fera, de toute façon, par l’école ou par la vie. Mieux vaut qu’elle se fasse par l’école, ce qui permet d’orienter à temps les jeunes. (À suivre, demain jeudi) ■
* Je Suis Français, 1983
Lire aussi notre introduction à cette série…
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