Philippe Conrad met régulièrement en ligne, sur les réseaux sociaux, de brèves notes toujours particulièrement intéressantes en matière d’Histoire et d’édition. Il évoque ici la mort de Philippe Muray. Les lecteurs de JSF liront cette note avec intérêt.
2 mars 2006, mort de Philippe Muray, écrivain français,, il avait 60ans.
« La liberté de penser a toujours été une sorte de maladie, nous voilà guéris à fond. (…) Jamais le troupeau de ceux qui regardent passer les images n’a été plus sensible aux moindres écarts qui pourraient lui porter préjudice. Jamais le Bien n’a été davantage synonyme de mise absolue en commun. »
La vie aujourd’hui lui aurait fourni du gros grain à moudre. L’époque lui aurait en outre conféré un traitement particulier, car Muray ne voyait pas seulement juste, il avait les mots et l’esprit pour déconstruire les déconstructeurs, soit les armes qui manquent parfois à nos « mécontemporains ». …
Il refusait d’adhérer au monde merveilleux, vertueux et transparent que la gauche dessinait comme avenir dans les années 1980-1990– …. Il a voulu surtout dénoncer la propagande des médias, la marche forcée vers ce qu’on vendait comme « progrès » et l’autocélébration qui accompagne ces « avancées », au travers les « prides » les plus diverses. Mais il n’était pas pour autant conservateur. Il a d’ailleurs dit clairement : « Ce n’était pas mieux avant, c’était mieux toujours . »
« Heureux qui comme Philippe Muray, le matin au réveil, ouvrait le journal Libération pour y trouver son pain bénit. Ou « un pesant d’or ». Cigarette Boyards au bec, il tournait les pages, lisait les titres, prenait connaissance des thèmes, puis son œil –qui avait la vitesse d’un algorithme– détectait le mot, la phrase qui lui servirait de point d’appui à une chronique. Ce mot, cette phrase qui relevait de l’injonction, de la dénonciation ou de l’innovation sociétale avait pour lui valeur d’aveu, d’élément à charge.
On ne mesure pas assez ce que doit l’auteur de « L’empire du Bien » à Libération, qu’il percevait comme un concentré rédactionnel – et jusqu’à la caricature – de tout ce qu’il pourfendait. Ce journal n’était rien d’autre, à ses yeux plissés, que la gazette d’Homo festivus, expression née dans le premier tome d’« Après l’Histoire » (Les Belles Lettres, 1999), qui désigne, en somme, les inventeurs du bonheur pour tous.
Mais dans le fond, en y réfléchissant bien, n’est-ce pas plutôt le chroniqueur de Libération qui, avant d’écrire son papier, se demandait quel thème il allait aborder pour emmerder Muray ? » ■
Source Ph. Sollers.