Par Pierre Debray.*
Cette nouvelle étude reprise de Je Suis Français (1983) est une suite publiée ici au fil des jours de la semaine sauf le week-end. Une fois opérés les correctifs contextuels substantiels qui découlent du changement d’époque, et discerné ce qui est devenu – fût-ce provisoirement – obsolète, elle constitue une contribution utile à la réflexion historique, économique, sociale politique et stratégique de l’école d’Action Française.
VII – LA SEPARATION DE L’UNIVERSITE ET DE L’ETAT
Assurément, il serait injuste de charger l’école de tous les maux. Bien d’autres facteurs ont contribué à la fainéantise de masse.
A mesure que se réduisait la durée du travail, l’organisation des loisirs devenait une préoccupation quasi obsessionnelle. L’année se passe à rêver des vacances, la semaine du « week-end ». La parcellisation croissante des tâches rendait le travail ennuyeux. Les concentrations urbaines engendraient une fatigue nerveuse, à la longue insupportable et le désir lancinant de l’évasion, d’ailleurs favorisé par la diffusion de l’automobile. Il serait déraisonnable de sous-estimer ces phénomènes. Ils s’enracinent dans la réalité socio-économique. En soi, ils ne sont pas absolument négatifs. Après tout, il n’est de civilisation que du loisir.
Le culte du loisir et de la paresse
C’est par le temps gagné sur le travail de subsistance que furent édifiés les temples grecs et les cathédrales. Le luxe est l’ornement de la vie. Maurras a des phrases admirables, sur la beauté comme accomplissement idéal de l’ordre social. Ce que l’on doit reprocher à notre société technicienne c’est d’avoir commercialisé le loisir, le rendant bête et méchant.
A l’idéologie utilitariste de la droite libérale, la gauche a opposé ses poncifs. Dépoussiéré par Lévi-Strauss, le mythe du bon sauvage a repris une apparente jeunesse.
Une critique, pour une part justifiée, de l’ethnocentrisme aboutit au dénigrement de notre mode de développement. On lui refuse toute supériorité sur celui des indiens de l’Amazonie. A la misère sexuelle et à l’abrutissement par le travail de l’occidental on oppose l’existence sans contrainte de l’aborigène, resté au stade de la cueillette. Ce qui est complètement idiot. Les sociétés dites primitives sont emprisonnées dans un réseau serré d’interdits et leur sexualité étroitement codifiée. La contestation de la « société de consommation » et des besoins artificiels qu’elle fabrique, le « retour à la nature », l’écologie et jusqu’au pacifisme concourent à dévaloriser la science et la technique. Les thèmes réactionnaires sont repris, déformés par l’ultra-gauche : la dénonciation du mythe du progrès, l’exaltation des vertus paysannes, la décentralisation. Il faut quelque courage intellectuel, de nos jours, pour admirer l’élan créateur qui, dès l’an mille, a poussé l’homme occidental à se rendre maître de l’univers. Que cet élan ait été, à partir du XVe siècle, dévoyé, c’est certain. Qu’il faille en modifier, avec prudence, la trajectoire, pourquoi pas. N’empêche que tout pays qui renoncera, dans la terrible guerre économique, connaîtra le sort des vaincus. Il sera colonisé, exploité, asservi. Que nous le voulions ou pas, nous sommes embarqués.
Changer de mode de développement en cours de route nous condamnerait au désastre.
Les socialistes, quand ils sont arrivés au pouvoir, ont rempli leurs engagements. Ils avaient promis au peuple fainéant cinq semaines de congés payés, la semaine de 39 heures, la retraite à soixante ans, l’embauche, par la fonction publique de deux cent mille inutiles. Un début annonçaient-ils. Deux ans plus tard, c’est l’appel du Président à l’effort puis la politique de rigueur, la baisse du pouvoir d’achat. Les socialistes commettent même un attentat contre le peuple fainéant. Des milliers de ses membres perdent discrètement la qualité de chômeurs, d’ordinaire des malfaiteurs, des trafiquants de drogue ou des proxénètes, ainsi privés de leur argent de poche et d’une raison sociale. Quand M. Barre avait osé parler des chômeurs professionnels, il avait déclenché la colère des syndicats ! Néanmoins l’actuel gouvernement même s’il lui faut opérer un retour, plus apparent que réel, au réalisme économique reste le représentant de la gauche fainéante. Il l’a prouvé en accablant d’impôts et autres charges fiscales la France travailleuse. Mais surtout, pour que les statistiques du chômage restent convenables, il encourage les jeunes à la paresse, en les invitant à prolonger une scolarité sans objet ou à profiter de contrats de formation, dont tout le monde sait qu’ils ne servent à rien, l’équivalent des « chantiers nationaux » de 1848. N’empêche que les socialistes ont été contraints, sous l’empire de la nécessité, d’admettre que seul le peuple travailleur permet d’entretenir la plèbe.
Revaloriser et libérer l’enseignement.
Comment en tireraient-ils la conséquence logique ? Seule l’école peut fournir à la nation, les hommes capables de maintenir et d’améliorer son appareil productif. Il est évident qu’il n’existe aucune chance d’une transformation radicale de l’institution scolaire aussi longtemps qu’on n’aura pas brisé la résistance du syndicat national des instituteurs et du syndicat national de l’enseignement secondaire, forteresses du conservatisme pédagogique. Mal payé, mal formé, peu considéré, le corps enseignant, dans sa majorité, s’est laissé absorber par la plèbe. Il s’est recruté parmi les étudiants attirés par l’attrait de longues périodes vacancières ou résignés, du fait de leurs médiocres résultats ou de leur manque d’ambition, à une carrière sans risque. Non qu’il ne reste des universitaires dont le choix fut commandé par une solide vocation. Brimés par leurs collègues, et parfois leurs élèves, certains se sont laissé aller au découragement, parfois au dégoût. D’autres se battent courageusement, et militent dans les syndicats minoritaires. En tout cas, ils ne peuvent guère retarder l’inexorable dégradation de notre enseignement, d’autant qu’instituteurs et professeurs sont plus vulnérables que le reste de la nation à l’idéologie dominante qu’impose la cléricature laïque ou religieuse. Parce qu’ils croient sincèrement aux nouveaux modes de vie, à un développement différent et autres turlutaines, ils répandent, parmi leurs élèves, le goût de la fainéantise, soit directement, en diffusant l’idéologie dominante, soit indirectement par des méthodes pédagogiques qui prétendent que l’on apprend sans effort.
Il convient de revaloriser la fonction d’enseignant, donc de la rémunérer à son juste prix. Un instituteur doit gagner autant qu’un cadre moyen, un professeur qu’un bon ingénieur, un proviseur qu’un chef d’entreprise. En contrepartie, le recrutement sera sévère. Il s’opèrera à un double niveau : un concours d’entrée dans un institut pédagogique, après le baccalauréat pour les instituteurs, la maîtrise pour les professeurs et un concours de sortie qui classera les élèves. L’argent ne suffit pas à valoriser un métier. Il faut encore que l’accès en soit rendu difficile. Bien payés, bien formés les enseignants, assurés d’appartenir à l’élite de la nation, s’intégreront au pays travailleur. Ils en accepteront assez facilement les valeurs et les exigences. Le diplôme ne leur conférera ni garantie d’emploi ni assurance salariale. L’enseignement cessera, en effet d’appartenir à la fonction publique pour devenir une profession libérale, avec des risques et des profits.
L’Etat ne conservera qu’un pouvoir de police. Il veillera à l’hygiène et à la salubrité des locaux, à la régularité des examens, à la bonne tenue morale des établissements. Rien de plus. On peut néanmoins admettre qu’il fixe les programmes scolaires mais après concertation avec les chefs d’établissement. En aucun cas, il n’interviendra pour imposer une pédagogie ou un projet éducatif. Au demeurant, le ministère de l’éducation nationale sera supprimé. Il sera remplacé par une haute autorité, assistée d’un corps d’inspecteurs, dont le statut s’apparentera à celui }de l’inspection des finances. (À suivre, demain mardi) ■
* Je Suis Français, 1983
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