Ces réflexions de Jacques Bainville sur un sujet qui parle à nos contemporains, surtout aux plus jeunes, ont été mises en exergue de la dernière livraison de la Nouvelle Revue Universelle. Il ne faudrait pas croire que Bainville – qui siègera à l’Académie aux côtés d’Henri Bergson ou de Maurice Paléologue, y moque la science. Dans ce texte finement ciselé et pensé, ce sont, à la manière des classiques, les postures et les travers de la nature humaine qu’il envisage, pour en sourire et en montrer les diverses facettes. Par nature humaine, il faut sans-doute entendre celle des hommes de son temps et de l’espace géographique et civilisationnel où ils se trouvent vivre. Il s’en dégage une lucidité sereine et une sagesse qui sont le propre de Jacques Bainville.
J’ai lu une chronique scientifique (…) qui nous apprend comment le monde finira. C est déjà une idée très reposante de savoir qu’il doit finir. Il est en même temps agréable de savoir que ce n’est pas pour demain.
Il paraît que le soleil, à force de brûler, perd tous les jours un peu de sa substance. À mesure que sa masse diminue, la terre s’éloigne de lui et un âge viendra où, de notre globe gelé, il n’apparaîtra plus que sous la forme d’un lumignon.
Ainsi les générations futures sont condamnées à mourir de froid après avoir repassé par l’état de Lapons. (C’est exactement le contraire de l’anticipation de Renan qui, lui, voyait les derniers hommes, repus de bien-être, mourant comme des crétins en se bronzant au soleil).
Étant donné, toutefois, que la distance de notre planète à l’astre du jour ne s’accroit que d’un mètre par siècle, le danger de congélation n’est pas imminent. Ce bas monde en a encore pour plusieurs millions d’années, ce qui laisse de la marge au genre humain.
Mais grâce à ces perspectives d’avenir, chacun peut justifier son système.
Pour l’optimiste, ce monde est vraiment le meilleur des mondes possibles puisqu’il finira non dans une catastrophe affreuse mais par extinction lente…
Pour le pessimiste, ce sera une fin très laide, et si lointaine que l’humanité a encore k temps d’accumuler les sottises et les crimes.
Le sceptique dira qu’il a raison de ne pas prendre au sérieux une future boule de glace roulant dans les ténèbres.
Quant au spéculateur, il saura prendre position en vue de la hausse certaine des terrains sous les tropiques.
C’est-à-dire, en somme, que le monde va son train. ■
Extraits d’une chromique Doit-on le dire ? (Candide, décembre 1931)
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