PAR PIERRE BUILLY.
Ridicule de Patrice Leconte (1996)
« Ah le bon temps que ce siècle de fer ! » (Voltaire)
Il y a plusieurs sujets fort différents dans Ridicule, et c’est peut-être pour cela que le film de Patrice Leconte est si intéressant mais aussi, d’une certaine façon, si frustrant.
Plusieurs sujets, donc.
D’abord, assez banalement, une histoire galante, faite d’attirances et de jalousies, de séductions et d’antipathies qui mettent en présence, en un carrousel venimeux, deux libertins, l’abbé de Vilecourt (Bernard Giraudeau) et la comtesse de Blayac (Fanny Ardant) et deux jeunes gens idéalistes, Malavoy (Charles Berling) et Mathilde de Bellegarde (Judith Godrèche) ; au siècle des Liaisons dangereuses, rien que de très normal.
Puis une sorte de reportage, plein de brio et d’éclat, sur la vie des salons de la bonne société, sur le plaisir aristocratique et cruel du mot, qui frappe, éclabousse, stupéfie, crucifie, désarçonne, sur les jeux d’esprit, sur la virtuosité du langage, sur l’extrême degré de raffinement et de méchanceté de ce monde finissant, si délicieux pour ceux qui sont du bon côté, si dur pour ceux qui sont du mauvais (on se croirait en 2021, non ?)…
Aussi une étude sociale ; les paysans de la Dombes vivent dans des terres liquides, prolifiques en carpes, mais infestées de moustiques et de germes ; Malavoy, seigneur du lieu, féru d’hydrologie et animé d’idées généreuses, nourri sûrement des pages de Rousseau et des physiocrates, entend assainir les marais et en chasser les miasmes assassins. Il vient à Versailles et fait le siège des ministères afin d’obtenir des subsides pour son projet. Il se heurte à la routine des administrations et aux déjà éternels problèmes budgétaires de la France (dont les sous ont toujours été dans des bas de laine, jadis sous les matelas, aujourd’hui dans les caisses d’épargne, plutôt que dans les caisses d’un État immémorialement impécunieux).
Mais il rencontre tout de même Maurepas, qui est une sorte de Premier ministre de l’époque (fort mauvais, soit dit en passant : c’est lui qui rappellera les Parlements, pires ennemis du Pouvoir royal et de l’égalité fiscale, suspendus par Maupéou en 1771). Rencontrer Maurepas, ce n’est déjà pas mal. Imaginerait-on aujourd’hui qu’un obscur élu de province puisse obtenir une audience de M. Jean Castex ? Naturellement, ça ne marche pas, pour de bonnes ou de mauvaises raisons (Maurepas lui dit : La vie humaine passe après le destin de la France ; voilà une jolie question pour une prochaine session du baccalauréat).
Enfin il y a un regard un peu léger mais très sensible sur une époque où les fondements du monde moderne, dans ce qu’il a de plus quotidien se mettent en place : les Sciences ne sont plus seulement des spéculations intellectuelles, de brillants exercices de style, mathématiques ou astronomiques : elles entrent, bien avant l’Encyclopédie, dans la vie quotidienne ; Denis Papin, à la fin du siècle précédent a jeté les prémisses en utilisant la vapeur, mais tout le 18ème abonde de ces inventions et découvertes qui font aujourd’hui notre quotidien et qui fourmillent désormais, dans le textile ou la métallurgie. Ridicule survole sans doute un peu trop ce bouillonnement intellectuel en présentant le scaphandre autonome qu’expérimente Mathilde ou l’invention du langage des signes par l’admirable Abbé de l’Épée.
On le voit, le programme était vaste. Patrice Leconte le couvre comme il sait le faire en artisan attachant du cinéma ; impeccable reconstitution des décors de la fin de l’Ancien Régime, distribution parfaitement réussie ; Giraudeau, qui n’a jamais vraiment bien trouvé sa place dans le cinéma français, est admirable et le phrasé de Fanny Ardant, si souvent agaçant, s’insère à merveille dans les atours de Versailles.
Les seconds rôles sont excellents (une note spéciale pour Bernard Dhéran, qu’on n’avait plus vu depuis si longtemps, parfait en vieille ganache poudrée…). Mais pourquoi, mon Dieu, s’obstiner à représenter Louis XVI sous les traits d’un polichinelle (en l’espèce Urbain Cancelier) ? Louis XVI était un géant (1,92 mètre) timide et passionné de sciences… Sait-on assez que parmi ses dernières paroles avant son assassinat il y a A-t-on des nouvelles de M. de La Pérouse ?, l’explorateur des confins du monde…
La Révolution française a passé sur cela, a cru pouvoir l’effacer. On cherche encore ce qu’elle a pu changer à la sauvagerie des hommes. ■
DVD autour de 13 €o
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Bonjour ,En effet un excellent film qui traite de pas mal de sujets finalement .(En même temps comme dirait le roitelet de L’Elysée ).Une distribution impeccable hormis pour le Roi Louis XVI dont j’ignorais qu’il mesurait cette taille de
basketeur …Du bon cinéma qui n’est pas mort en FRANCE malgré la pitoyable prestation des « Césars » .