Par Gérard POL.
Les médias nous rapportaient hier qu’Emmanuel Macron aurait déclaré à la télévision grecque : « Les Européens ont eu tort d’avoir manqué d’ambition ». Sans-doute, s’agissait-il de la vaccination… objet de toutes les ironies, de toutes les rancœurs, rentrées ou publiques.
Les optimistes penseront que le jeune Chef d’État en apprentissage dont la France s’est dotée en 2017 commence enfin à comprendre ce qui doit l’être. Ils conforteront leur jugement en se disant – ce qui est exact – que ses aînés en politique n’étaient de toute façon pas plus avancés que lui en matière de compréhension de la question européenne. Les lenteurs de la maïeutique présidentielle et ses atermoiements ne sont donc pas un handicap supplémentaire à mettre au compte d’Emmanuel Macron à quelque titre particulier, dans la colonne du passif. Les rationnels et les logiques en conviendront.
Les pessimistes argueront qu’Emmanuel Macron n’a rien compris du tout ; qu’il piaffe seulement de cette sorte d’impatience capricieuse, venue d’un résidu juvénile, qui le conduit à se rebeller contre ses chers collègues et amis bruxellois décidément si poussifs et mollassons dans l’organisation de la vaccination de « l’Europe ». De quoi compromettre, par surcroît, sa réélection programmée en… 2022, si tout va bien.
Les réalistes diront qu’un homme change rarement de conviction, lorsqu’il en a, et qu’elles s’incorporent en quelque sorte à sa nature. Ils penseront qu’Emmanuel Macron qui n’est ni sot ni ignorant croit à la fois à la nation qui l’a vu naître et à son inéluctable, à son nécessaire dépassement par plus grand, plus vaste, plus fort qu’elle. Quoi donc ? L’Europe, le continent, le monde… qui sait quoi d’autre encore ? Le grand comme le petit sont sans limite comme on le sait.
Bref, le Chef de l’État pense exactement le contraire d’Hubert Védrine qui affirmait dans un entretien avec Natacha Polony repris hier par JSF, que « Le cycle d’effacement de l’État-nation est en bout de course ». Emmanuel Macron, se rêvant en parangon du progrès agirait-il donc à contre-temps ? Nous avons bien des fois observé chez les esprits « modernes » cette sorte de fatalité qui les obligerait à être souvent en retard d’une guerre ou d’une génération. Ce qu’ils croient dans l’air du temps est dépassé, sans qu’ils en aient conscience, depuis un bon nombre d’années. Ainsi d’Emmanuel Macron qui s’agace que les Européens aient le tort de manquer d’ambition… Mais pourrait-il aller au-delà de son agacement ? Les Européens qui – à tort ou à raison, peut-être aux deux, ou par-delà les deux – ont longtemps dominé le monde, dans l’ordre de la force et dans l’ordre de l’esprit, n’ont pas toujours eu ce tort de manquer d’ambition – qu’Emmanuel Macron déplore. Peut-être même en ont-ils eu en excès. Mais leur puissance et leur créativité, et même une évidente « unité » s’ils se comparent au reste du monde, c’est par la médiation des nations, par leur rivalité, leurs luttes même, qu’ils l’ont réalisée et déployée sur tous les continents.
Les réalistes diront que c’est cette clé de la médiation des nations, nécessaire et sans au-delà politique, qui manque à Emmanuel Macron pour fixer sa pensée sur une base stable et efficiente. Les ambitions, les élans des temps d’épreuve, les efforts intenses, ce n’est pas le fort des commissions, des commissaires ou des agglomérats mais des peuples, des nations historiques et de leurs Chefs quand elles ont la chance d’en avoir un. C’est sur ces bases-là qu’une Europe a existé dans l’Histoire et qu’elle a su, quand il l’a fallu, s’unir pour survive et faire face aux dangers les plus graves intérieurs ou extérieurs. Les commissaires ont des ambitions de commissaires. Pas plus. L’administration des choses préférée au gouvernement des hommes, cela ne soulève pas les enthousiasmes. Si l’on s’obstine à abaisser les nations, à liquider leur souveraineté, à les soumettre à des commissaires, des commissions et des règlements à la tonne, nulle ambition n’est à attendre. Ni en matière vaccinale, ni en aucune autre. Les Etats peuvent s’entendre ou du moins le tenter (car même cela est devenu difficile), au nom de leurs peuples et de leur Histoire. On ne peut faire comme s’ils n’existaient plus qu’à l’état de zombies vassalisés. Faute de quoi, Emmanuel Macron peut ranger sans attendre ni s’impatienter, les ambitions – grandes ou petites – au magasin des accessoires. ■
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