Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Constater que l’épidémie n’est à l’évidence pas du tout maîtrisée, que les doutes sur un certain vaccin persistent ou, pis encore, qu’on a des raisons (scientifiques) de penser que le variant sud-africain constitue une menace encore plus inquiétante, permet de mesurer la futilité et l’inutilité de tous les bavardages et interventions qui, d’où qu’ils viennent, relèvent d’une communication débridée.
A trop parler, à tort et à travers, on court le risque de provoquer une démoralisation générale de la population. La responsabilité des médias et des politiciens est ici évidente. On reste cependant en droit d’attendre du pouvoir politique qu’il renonce aux effets rhétoriques pour assurer une mise en ordre de marche claire et imposer une discipline respectée.
M. Véran promettait au début de cette année « 70 millions » (sic) de Français vaccinés « d’ici à la fin août » (TF1, 21 janvier) – si et à condition que. M. Breton, Commissaire européen, vient de nous assurer (TF1, 21 mars) que l’immunité collective européenne sera atteinte le 14 juillet – si et à condition que. Trois jours après, M. Macron affirme sur un ton plus catégorique : « Nous [l’U.E.] serons, d’ici au deuxième semestre, l’espace qui produira le plus de vaccins au monde ». Des propos qui se veulent rassurants mais qui peuvent à juste titre provoquer un certain scepticisme.
Il serait sans doute vain de comparer la France à des pays si différents d’elle comme Israël ou les Etats-Unis ; en revanche, la comparaison avec la Grande-Bretagne paraît, elle, pertinente. Si l’on pense que le salut commun viendra de la vaccination, une question se pose : que s’est-il passé, chez nos amis, alliés et ex-partenaires de l’U.E., pour qu’à ce jour le nombre d’injections soit chez eux 3,5 fois plus important que chez nous ? M. Johnson a dû, et pu, prendre et faire appliquer certaines décisions capitales. Dès avril 2020 il fait le choix de la bonne personne pour lui confier la gestion et la direction des opérations : Mme Bingham. Tout va alors très vite : recrutement de 450 000 volontaires pour les tests finaux ; commande de 370 millions de doses ; prise de risques (risque juridique : laboratoires non responsables d’éventuels effets secondaires ; risque vaccinal : seconde injection différée à quatre mois pour assurer la première à un maximum de personnes) ; homologation d’un premier vaccin début décembre 2020. Et la logistique suit (mieux : précède) : les camions pour transporter les vaccins, les réfrigérateurs pour les conserver, les stades pour les administrer et les outils informatiques pour gérer les données. La Grande-Bretagne redevenue souveraine n’avait pourtant, contrairement à la France, rien à attendre de Bruxelles.
La France, outre ses propres carences et (ir)responsabilités notoires qu’il n’est pas question de minorer, est d’abord victime de la stratégie vaccinale de l’Union européenne. Celle-ci s’est montrée tellement frileuse dès les premiers mois de 2020, se retranchant derrière le principe de précaution, négociant trop, et mal d’ailleurs, avec les laboratoires, s’appesantissant sur les aspects juridiques des contrats, qu’elle court maintenant après le temps perdu. Et, ce qui n’arrange rien, on s’aperçoit aujourd’hui que le système de fabrication-distribution, notamment pour le vaccin AstraZeneca, se fait au détriment des pays membres de l’U.E., victimes naïves d’intérêts nationaux étrangers mieux défendus. Et comment ne pas voir dans le plaidoyer pro domo de M. Breton un déni de réalité, le refus de reconnaître et assumer les échecs de l’U.E. jusqu’à pousser l’indécence à traiter par le mépris le vaccin russe (Spoutnik V) qui est pourtant reconnu efficace à 91% (The Lancet) et qui semble même intéresser fortement Allemands et Italiens ?
Mercredi 24, dans l’entretien destiné à une chaîne de télévision grecque dont sont extraits les propos rapportés plus haut, M. Macron souligne aussi le manque d’ambition de l’Union. Malgré les précautions de langage destinées à rassurer, comme l’ont donc fait avant lui MM. Véran et Breton, ses propos sur l’U.E. constituent bien un aveu d’échec. La métaphore du « diesel » pour parler de l’Union est plus inquiétante que rassurante : on attend en effet, dans une situation de crise, une grande réactivité de la part de ceux qui sont aux responsabilités. Et quand M. Macron précise qu’« on [l’Union] a eu tort de manquer d’ambition », c’est l’esprit même de l’U.E. qu’il condamne. On peut en fait se demander ce qu’il y a à attendre d’une bureau-technocratie pusillanime et dénuée d’ambition autre que celle, bien sûr, de sa propre survie. ■
** Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Publié le 29.03.2021 – Actualisé le 5 avril 2021