PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro de ce samedi. L’analyse nous est parue parfaire et nous n’avons guère de commentaires à y ajouter. Une nuance, peut-être : la culture française, c’est sûrement très clair pour Mathieu Bock-Côté, ne peut se ramener à une norme, à des tabous, contraignants, encore moins à la liberté de boire de l’eau pendant le ramadan. La culture se vit et puise à un héritage complexe et riche, des choses les plus simples aux plus élevées. Là encore, c’est à une œuvre de mort – ici culturelle – que la modernité se livre et qu’elle nous impose. La tyrannie du Système ne vaut pas mieux que celle de l’Islam radical – ce qui est sans-doute, un pléonasme. Bock-Côté le dit d’ailleurs très bien :Une certaine illusion libérale se dissipe sous nos yeux.
« Posons la question à bonne hauteur : y a-t-il encore une culture française qui soit la norme en France? Une certaine illusion libérale se dissipe sous nos yeux. »
Un tweet banal incitant les Français à boire suffisamment d’eau (et de préférence de l’eau d’Évian) dans leur journée. Dans un monde normal, cette publicité aux allures de consigne infantilisante n’aurait pas vraiment créé scandale.
Mais nous ne vivons plus dans un monde normal depuis un certain temps déjà. Le tweet ayant été publié le premier jour du ramadan, il a suscité des réactions sur les réseaux sociaux, chez certains internautes très agressifs, qu’il n’est pas interdit de supposer islamistes. Évian fut accusé de provoquer les musulmans, de manquer de sensibilité à leur endroit. Prise de panique, l’entreprise a publié un second tweet pour s’excuser de sa maladresse et préciser qu’elle n’avait d’aucune manière voulu provoquer qui que ce soit avec son premier message. Oui, Évian était en désaccord avec toute provocation !
Naturellement, une conduite lâche ne pouvait que faire sursauter le commun des mortels, découvrant que certaines grandes entreprises françaises sont désormais disposées à se soumettre à ce qu’elles croient être les injonctions de la religion musulmane, et plus particulièrement, de ceux qui veulent faire de la France une terre d’islam. En croyant éviter la crise, et en misant sur l’apaisement pénitentiel, Évian témoignait d’un réflexe servile, d’une disposition à la soumission, devant une puissance à laquelle on prête désormais le pouvoir de fixer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.
Les commentateurs se contentant de voir là une stratégie consistant à ne pas faire de vagues s’aveuglent volontairement devant la signification politique de la chose, qui révèle, sur le plan symbolique, un transfert de souveraineté sur le territoire national, la culture française étant désormais appelée à s’effacer devant ce que l’on croit être la culture musulmane.
L’islamisme progresse une génuflexion à la fois. Les islamistes les plus revendicatifs sont transformés en interprètes autorisés de l’islam. On leur accorde le droit de parler en son nom. À l’échelle de l’histoire, on y verra une psychologie conquérante: les islamistes arrivent en France avec l’idée d’y imposer leurs codes. Le commun des mortels s’exaspère de ces capitulations à répétition, mais les majorités passives subissent l’histoire, alors que les minorités idéologiques résolues la font.
Posons néanmoins la question à bonne hauteur: y a-t-il encore une culture française qui soit la norme en France? Une certaine illusion libérale se dissipe sous nos yeux: aucune société n’existe sans tabous. Toute la question est de savoir autour desquels se constitue l’espace public. Qu’est-ce qui fait scandale: insulter ou célébrer la France? Cette semaine, simplement rappeler qu’en France, on boit de l’eau quand on le veut bien a pu se ranger dans le registre des provocations et du blasphème.
Cet événement éclaire sur une dimension trop souvent négligée de l’inquisition «woke», qui déborde depuis un bon moment de l’université. Le «wokisme» colonise le monde de l’entreprise, et plus particulièrement, des grandes entreprises, qui voient dans la mise en scène de leur quête d’une toujours plus grande «diversité» une manière de construire leur profil social et leur identité citoyenne. En Amérique du Nord, il n’est plus rare de voir les plus grandes d’entre elles prendre la pause en s’accusant de participer au «racisme systémique» et à la logique de la «suprématie blanche». Plus une grande entreprise s’accuse, plus elle se croit vertueuse, et cherche en quelque sorte à se voir reconnue et certifiée dans ses bonnes pratiques en matière diversitaire. Les entreprises qui ne le rallient pas explicitement sont pointées du doigt et accusées de perpétuer en leur sein des inégalités raciales.
Le «wokisme» colonise particulièrement les départements de ressources humaines et prend forme dans l’approche «ÉDI», pour «équité, diversité et inclusion». Il s’impose partout sur les milieux de travail, à la manière d’ateliers de rééducation idéologique au nom de la sensibilisation à la diversité. Les employés sont de plus en plus souvent contraints d’assister à ces séances, pour les transformer en alliés de la diversité. Ils devront peut-être même chercher, s’ils sont blancs, à devenir moins blancs. On prétend alors dépister leurs arrière-pensées, leurs biais inconscients, et qui confesse quelques réserves devant cette petite séance de lavage de cerveau se désigne alors aux yeux de tous comme un opposant, un dissident, un employé réfractaire, contagieux et toxique. C’est seulement en ayant conscience de cette conversion du capitalisme au «wokisme» qu’on comprendra l’accélération de la révolution racialiste. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
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