Par Philippe Franceschetti*
Au moment de la (fausse) suppression de l’ENA, la revue écolo-catho Limite publie cette intéressante et très actuelle chronique.
Le monde manque de vrais « leaders populaires » ayant appris à écouter le peuple
Face aux problèmes il n’est pas rare d’entendre les Français reprendre cette critique en chœur. Mais loin de s’arrêter à ce constat, le débat porte de plus en plus sur la formation des dirigeants : rien ne les prépare à prendre les décisions favorables aux aspirations de la nation. C’est en fait une question fondamentale dans une société démocratique : quelles élites voulons-nous ? La question de leur formation est ici pleinement politique.
Face aux crises successives, on plaide souvent pour la réforme. Face aux gilets jaunes, le pouvoir a proposé la suppression de l’ENA.
Après avoir donné les hauts cadres publics pour assurer la reconstruction de l’État après-guerre, l’ENA serait aujourd’hui obsolète. Et il est juste de constater le décalage entre les aspirations de la société et cette formation élitiste désormais convertie à la fin de l’État-providence par la Doxa libérale. Sa suppression a toutefois fait long feu (l’ENA perdurera – ce qui n’est pas sans raison, mais elle mériterait plus qu’un toilettage) et on reste sur l’effet d’annonce : avez-vous vu un tant soit peu le Président changer son « management » de la « start-up nation » ?
Autre constat très récent : la panique qui a saisi les élites devant la crise organisationnelle liée au Covid 19. Constat sans appel d’une étude sociologique (publiée par Sciences Po !) : « Ses cadres durant leur formation n’ont jamais été exposés à la nécessité (…) d’investir dans une démarche de connaissance qui prend acte de la complexité des systèmes humains. On leur apprend le leadership mais on ne leur enseigne pas à faire preuve de modestie dans l’action ». On devrait les former aux méthodes de construction des savoirs plutôt que leur transmettre un corpus de certitude.
À ce déficit sur le fond, l’éducation des élites ajoute une rupture avec le reste de la population instituée dès l’origine dans le système éducatif.
Le philosophe américain de Christopher Lasch en fait un des éléments de la « révolte des élites » se coupant du monde du fait de « la quasi-monopolisation des collèges et universités les plus célèbres aussi bien publics que privés, par la grande bourgeoisie. À y regarder de près, le « séparatisme » n’est pas toujours là où on le croit…
Plus globalement, on appelle désormais à une refonte des études supérieures. Les étudiants du « Manifeste pour un réveil écologique » plaident pour un cursus incluant l’urgence écologique pour s’y adapter et s’engagent pour « réveiller » leurs futurs employeurs sur ce sujet.
Le Campus de la Transition expérimente un enseignement où les élèves de grandes écoles font face à des situations de mise en transition… L’anthropocène doit rebattre les cartes de la formation des élites par la conscience des réels enjeux communs de ce monde et des motifs cognitifs nouveaux.
Enfin le pape François a jeté une pierre dans le jardin des institutions formatrices : le monde manque de vrais « leaders populaires » ayant appris à écouter le peuple et à porter sa parole. (Christus vivit 230). Qui pourra les former ?
* Philippe Franceschetti de la revue Educatio.