Par Rémi Hugues.
À l’occasion de la Journée de la propriété intellectuelle [26 avril], cet article traite des rapports entre propriété, capitalisme et usure.
S’il y a bien deux hommes qu’il est difficile de faire rentrer dans la même case politico-intellectuelle, ce sont Patrick Buisson et Thomas Piketty. Mais ils ont en tout cas des points communs. Ils susurrent leurs conseils à l’oreille des dirigeants, leurs livres se vendent bien et sont salués par la critique. Le capital au XXIème siècle, paru en 2013, est devenu l’évangile de la Gauche. Idem de La Cause du peuple, sorti trois ans plus tard, pour la Droite.
Tout n’oppose pas pour autant les deux essayistes influents. Au-delà des divergences, ils sont d’accord quand il s’agit de mettre en exergue les méfaits et dégâts causés par le capitalisme financier. On trouve dans le « chef d’œuvre » de Buisson – dixit Jean-François Kahn –, cette formule : « La droite contre le capital ». Cette droite, c’est celle de Buisson, « qu’on la nomme contre-révolutionnaire, légitimiste, traditionaliste ou qu’elle évolue sous la bannière du catholicisme social, s’inscrit d’emblée dans une opposition radicale, aussi philosophique que politique, au libéralisme et au capitalisme. »[1] La littérature de cette droite « s’attache à dénoncer avec horreur les effets ravageurs de la mutation économique engendrée par la révolution industrielle, aussi bien l’exploitation du prolétariat que la dégradation morale corrélative de la bourgeoisie »[2].
Piketty, lui, va dans le même sens, quand, dans le numéro de L’Obs du 5 septembre 2019, il en appelle à dépasser le système socio-économique actuel, à « sortir, abolir, remplacer » le capitalisme. L’hebdomadaire de gauche lui avait ouvert ses colonnes pour qu’il présente l’intérêt de son ouvrage Capital et Idéologie, un pavé massif… 1232 pages ! Quand même ! Comme si la quantité pouvait être gage de qualité…
Ce qui explique la notoriété de Piketty, c’est ce qu’il préconise, dans l’optique de pallier les inégalités socio-économiques : la mise en place d’un impôt mondial. La clé de sa réussite indéniable dans le monde politico-médiatico-intellectuel est qu’il propose une solution mondialiste aux problèmes générés par le déploiement du capitalisme financier. Cela lui vaut un soutien sans faille de la part du Pouvoir, d’essence globaliste. Lui croit être un résistant, mais il n’est que l’homme-lige des agités du global que dénonce page après page Buisson dans son maître-ouvrage La Cause du peuple, dont le titre ne renvoie ni à l’univers d’un Maurice Barrès ni d’un Charles Maurras – figures intellectuelles dont il s’est fait l’épigone –, mais est connoté années 68, Benny Lévy alias Pierre Victor, Gauche prolétarienne, qui avait choisi ce syntagme comme titre de l’organe de ce mouvement maoïste.
Quand la « grande presse » se plaît à présenter l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy en croque-mort, en crâne rasé de la pensée, comme dirait Bernard-Henri Lévy, elle adule le « résistant » Piketty, qui est choyé par France Inter, par les Salamé, Demorand et consorts, par les journalistes du Système, du Pays légal, qui se reconnaissent par une inculture et une servilité confondantes.
Piketty peut ainsi exposer ses thèses prétendument subversives – car « anticapitalistes » ! –, qui s’articulent autour d’une axiomatique qui voudrait que la sacralisation du pouvoir royal ait été supplantée par la sacralisation de la propriété à partir de 1789. Dit autrement, que la « société des propriétaires » s’est substituée aux sociétés « ternaires », ce qui renvoie aux communautés traditionnelles divisées en trois groupes (ceux qui guerroient ; ceux qui prient ; ceux qui travaillent), qu’en langage savant on désigne par la formule « tripartition dumézilienne ».
Or la vision développée par Piketty s’appuie sur la définition scolastique du capitalisme, qui pose que sa condition décisive de possibilité est la propriété privée. Ce qui est pour le moins contestable. Prenons par exemple l’épisode du vase de Soissons – tant reprise par les manuels classiques d’histoire de France, où Clovis impose sa prééminence vis-à-vis de ses congénères francs –, met en évidence que la question de la propriété, du tien et du mien, n’est pas apparue au XVIIIème siècle, date communément admise des débuts de l’ère capitaliste. [À suivre, demain, mardi)) ■
[1] Paris, Perrin, 2018, p. 300.
[2] Idem.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source