Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
[Archives. Publication du 23.11.2020].
« les faits ne sont plus en sécurité dans les mains des journalistes ».
L’époque serait au complotisme.
Alain Finkielkraut pense, et il n’est pas le seul, que « la peur du complot est une pathologie de la modernité » (LCI, lundi 19). Proposer comme grille de lecture des événements la seule théorie du complot paraît effectivement un peu court : c’est refuser la prise en compte de l’ensemble des facteurs qui concourent à faire l’Histoire. Eric Zemmour semble lui répondre que le complotisme est « ce mot des élites pour disqualifier toute critique » (Le Figaro, 20). Il est de toute façon évident qu’on ne peut écarter la possibilité d’un complot ou d’une conspiration : c’est bien ainsi que Jules César fut assassiné ou que De Gaulle fut « rappelé » en 1958 ; et, sans sombrer dans la paranoïa, on ne peut que constater l’étonnant alignement des planètes (financière, médiatique et idéologique) qui a facilité l’élection de M. Macron – et se poser quelques questions.
Dans son « édito politique » du 13 novembre (France Inter, 7h45), M. Legrand, suspecte M. Dupont-Aignan et Mme Le Pen de pouvoir polluer l’élection présidentielle de 2022 (« Il y a quelques craintes à avoir sur la qualité démocratique de la présidentielle qui vient. »). Il leur reproche de confondre un peu trop souvent la réalité des faits et une opinion préconçue qui, on le comprend bien, ferait la part belle au complotisme. M. Dupont-Aignan aurait ainsi une fâcheuse tendance à surréagir à l’actualité en la réinterprétant d’après ses fantasmes (exemple : ses propos concernant l’incendie de Notre-Dame : « Tout a été fait pour faire croire à un accident. »). Mme Le Pen serait plus subtile, donc plus dangereuse à ses yeux, car elle calculerait ses ambiguïtés (exemple : sur l’élection américaine, sans reprendre explicitement à son compte l’accusation de fraude, elle semble en sous-entendre la possibilité).
On peut cependant se demander si le journaliste-procureur Legrand est lui-même à l’abri de tout soupçon. Il peut bien invoquer Hannah Arendt (« La liberté d’opinion est une farce si ce sont les fait eux-mêmes qui sont l’objet de débat. ») ou citer le dictionnaire d’Oxford de 2016 qui propose une première définition du mot post-vérité (« circonstances dans lesquelles les faits objectifs sont moins importants pour la formation de l’opinion que le recours à des croyances personnelles »). Il semble oublier que si le complotisme conduit au mensonge « actif », en faisant primer ses propres idées sur le fait, existe aussi le déni de réalité, mensonge « passif » qui consiste à omettre volontairement de mentionner le fait.
Or, on peut s’étonner du silence (ou du quasi-silence) de certains médias sur certains sujets. Prenons un exemple. Chaque jour de la semaine, voire de la quinzaine, qui a précédé la chronique de politique intérieure de M. Legrand du 13 novembre, la France a été, de-ci de-là , plus précisément et par exemple à Argenteuil (Val-d’Oise), Rouen (Seine-Maritime), Oyonnax et Bourg-en-Bresse (Ain) et dans tant d’autres endroits, le théâtre d’émeutes locales fomentées par une certaine partie de la population, « des jeunes » comme on dit dans les médias pour éviter de les nommer. Agressions de pompiers, caillassages de véhicules, incendies de mobilier urbain, guets-apens tendus à des policiers, tirs de mortier contre les forces de l’ordre, etc.
C’est ce qui s’est passé et qui se passe quotidiennement, depuis trop longtemps, et qui continuera de se passer, n’en doutons pas. La presse n’en parle vraiment qu’au-delà d’un certain seuil de gravité (morts, destructions, pillages). Pour le reste, on fait silence ou on en parle le moins possible. Et quand on se risque à une analyse, c’est avec toute la mansuétude pour les délinquants que suggère un sociologisme dévoyé. Bref, un très grave et récurrent problème d’ordre public est volontairement minoré si ce n’est occulté par la presse dite main stream (ils se reconnaîtront).
M. Legrand, titulaire de la chronique quotidienne de politique intérieure dans la « matinale » de France Inter, participe à cette véritable conspiration du silence, destinée à ne pas stigmatiser « certains » (on les reconnaîtra) au nom de l’idéologie dominante, immigrationniste et multiculturaliste. Ainsi M. Legrand fait-il à sa façon, c’est-à-dire avec un savant mélange d’hypocrisie et de bonne conscience, ce qu’il soupçonne les autres de faire : il privilégie ses idées au détriment des faits. Il n’invente rien, certes, il se contente de ne pas vraiment relever et analyser objectivement – ou de le faire le moins possible – ce qui ne lui convient pas.
Comme le dit si bien, Alain Finkielkraut, « les faits ne sont plus en sécurité dans les mains des journalistes ». ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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