Par Xavier Raufer.
Xavier Raufer donne à Boulevard Voltaire, à Atlantico et divers autres médias – ici à RT France, le 27.04 – des entretiens et des articles réguliers, contributions intéressantes pour leur expertise minutieuse des divers domaines de l’insécurité et de la délinquance. Autant de signes sur l’état de notre société et de la déliquescence du Pouvoir. Nous ne pouvons manquer de nous en tenir informés.
Le criminologue et essayiste Xavier Raufer revient pour RT France sur la politique antiterroriste menée par le gouvernement ainsi que sur les causes d’une menace dont le récent attentat de Rambouillet est l’ultime exemple.
Encore une policière (administrative) égorgée à Rambouillet, au cri de Allahou Akbar, «Dieu est le plus grand». Sur le champ va s’installer le théâtre d’une routine où chacun connaît son rôle : le président de la République lance un martial «on ne lâche rien» et reçoit des victimes. La police antiterroriste arrête des proches de l’assassin. Une nouvelle loi opportune est décrétée afin de montrer que l’Etat de droit accomplit son devoir. Une loi supplémentaire : depuis novembre 2015 (Bataclan, etc.), entre les lois, décrets, questions prioritaires de constitutionnalité, c’est sur cinq années pleines d’une vingtaine de ces textes qui ont été rédigés de circonstance. Mais voilà, les faits sont là, encore une policière égorgée.
Peut-on questionner cette persistance terroriste désormais rare en Europe ? Le sérieux du présent combat antiterroriste ? La compétence des dirigeants qui l’animent ? La réponse est négative : immédiatement à cet énoncé, quelque ministre vous traite de «vautour» ou vous accuse de «récupération». Pour tenter de comprendre, il s’agit de faire l’exercice en partant du sommet de la pyramide. La Ve république est une monarchie bancale, c’est une banalité que de le souligner. La vision du président, ses réflexes et réticences, sont décortiqués par la nomenklatura, préfets, directeurs d’administration : tous savent que leur sort dépend du souverain plaisir. Dès 2017, l’élite courtisane comprend que le régalien n’est pas dans le tempérament du nouveau monarque… Il semble que dans sa tête, Emmanuel Macron est un banquier d’affaires, dont le monde se situe entre la city de Londres et Wall Street, ces hauts lieux de la puissance économique avec Davos en exemple idéologique, idéologie prenant l’Etat-nation pour la pénible survivance d’un passé obscur d’avant l’émergence des Gafam et de la Silicon Valley.
Ce fameux Etat-nation où cependant doit s’exercer le régalien, dont il est la raison d’être.
Une preuve ? L’affaire Benalla la fournit. Chaque policier ainsi que l’ensemble des forces de l’ordre haïssent le barbouzage des bas-fonds du pouvoir. Une des premières maladresses insignes d’Emmanuel Macron ou bien un profond mépris ? Un mauvais signe en tout cas.
Le second symptôme inquiétant, la réflexion sur la «politique de la ville» – dont la topographie importe tant pour la sécurité publique, ces lieux où éclatent les émeutes. Emmanuel Macron survole un instant la chose… ébauche un «Conseil présidentiel des villes» ? Soudain, mandaté sur le sujet, M. Borloo est renvoyé à sa niche: depuis règnent l’indifférence et le quasi-abandon de tout projet concret ou porteur pour notre pays.
Or les quartiers désignés par cette «politique de la ville» fournissent le terreau du crime organisé et du terrorisme. Ils sont la couveuse des hybrides entre terreur et crime, à l’instar de Mohamed Merah et autres. Arpenter ce terreau, ne jamais le quitter des yeux, fonde la sécurité de la France. Il s’agit là d’un fondement philosophique : «Ne pas comprendre la nature d’un mal qui vous menace est une situation hautement périlleuse. Comment pourrait-on s’imaginer avoir triomphé de ce dont on n’a pas compris la nature ?» (François Fédier, Entendre Heidegger, 2008)
Un tableau désastreux peint sur fond d’immigration hors-contrôle. Si l’islamisme est l’ennemi, comme aiment à le dénoncer messieurs Macron et Darmanin, il est pour le moins surprenant que «notre» immigration provienne surtout de pays où sévit le fléau islamiste, d’où sa propagande happe nos esprits faibles ou torturés, nichés dans ces quartiers perdus. Là où l’Etat ne contrôle presque plus rien. Or depuis 2017, rien d’officiel n’est dit sur ce point. Un échelon plus bas, jaugeons notre appareil antiterroriste. La Direction générale de la sécurité intérieure française n’est pas un réel service antiterroriste : elle suit toutes les menaces externes ciblant la France, dont l’espionnage sous toutes ses formes. Or si certaines de ses missions exigent le secret absolu et permanent, long cours et patience, infiltration de réseaux, retournement d’agents, la lutte antiterroriste exige, elle, des qualités et une temporalité radicalement anti-éthiques.
Au rythme où évolue le terrorisme, au vu de sa nature protoplasmique, l’exigence pour le contrer est ici l’agilité, la vision précoce, l’alerte subite. A l’image d’un terrain de jeu de rugby, le ballon, extrait au plus vite de la mêlée, doit passer au plus vite à qui marquera le but. Exiger d’une seule et même entité des qualités si antinomiques, c’est risquer qu’elle fasse tout à moitié bien. Coordinateur de la lutte antiterroriste, M. Nunez évoque le djihadiste assassin de Rambouillet, au «profil très difficile à suivre» : par qui et pourquoi ? Au fond, un diagnostic analogue.
Remédier à cette difficulté est une prérogative souveraine. Mais si le souverain apprécie mal le problème, son origine, son armée, il ne peut rien régler. Bien sûr, à chaque timide reproche, après chaque échec, le service exige des moyens, des hommes. Il crie au loup, au futur bain de sang – renforçant encore sa forteresse mais s’éloignant du terreau criminalo-terroriste ci-dessus évoqué.
En France, le personnel de l’antiterrorisme, ses cadres, sont pourtant classés parmi les meilleurs d’Europe. Leur longue et profonde expérience collective est inégalée. Où se situe le problème, en ce cas ? Chez nos voisins britanniques, un historien qualifia un jour cruellement le massacre des braves Bobbies de 1914-1918 du fait de généraux ineptes : «Des lions conduits par des ânes». Notre grand respect des institutions de l’Etat nous interdit bien sûr d’appliquer la formule au cas français – mais quand bien même, l’image est forte. ■
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Xavier Raufer
Docteur en géopolitique et criminologue.
Il enseigne dans les universités Panthéon-Assas (Paris II), George Mason (Washington DC) et Université de Sciences politiques et de droit (Pékin)
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