PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette tribune est parue dans Le Figaro du 28 mai. Mathieu Bock-Côté y expose comment, selon lui, l’idéologie racialiste américaine cherche à s’exporter, comme si elle entendait se poser comme norme à suivre pour toutes les sociétés. Un autre de ces grands remplacements dont traite Patrick Buisson dans la vidéo de TVL que Je Suis Français a mise en ligne ce matin.
Un transfert du flambeau révolutionnaire, de l’URSS aux États-Unis
Il est bien vu, ces jours-ci, de présenter Joe Biden comme un nouveau Roosevelt, ambitieux et pragmatique, courageux et modéré.
Celui qui passait hier encore pour un gaffeur hasardeux prend désormais les traits du bon géronte, consacrant sa présidence à la réconciliation d’un pays fracturé. Mais cette image rassurante ne résiste pas à la réalité des faits et masque bien mal la nouvelle poussée de fièvre idéologique associée au wokisme qui traverse la société américaine, très présente dans l’aile gauche de son propre parti. Celle-ci n’est pas loin de considérer Joe Biden comme un président de transition, alors qu’une nouvelle garde s’installe dans un pays dont les coordonnées identitaires de base se transforment. Il laisse croire à un retour au calme alors que tout s’embrasse.
La nouvelle révolution américaine vient des campus mais n’y est plus cantonnée: son idéologie se déploie désormais dans les administrations publiques et privées. Et comme le notait récemment Christopher Caldwell dans la National Review, c’est au nom du concept d’équité qu’elle se déploie. Le principe d’équité prétend accomplir l’égalité à l’américaine mais en fait le falsifie, en liquidant la référence à l’individu pour la reporter à l’échelle raciale: chaque groupe identifié par la bureaucratie diversitaire doit être représenté dans tous les domaines de l’existence sociale selon son poids dans la population, sans la moindre nuance. Le monde se laisse absorber par un fantasme mathématique. Mais surtout, on ne saurait tolérer d’autre explication à la moindre disparité dans la représentation que par le «racisme systémique».
Comment s’arracher à ce dernier? Par un travail constant de rééducation. Le journaliste Christopher Rufo a critiqué à plusieurs reprises au cours des dernières années les délires du «diversity training». Il l’a encore fait ces derniers jours en révélant que certains dirigeants masculins blancs de Lockheed Martin avaient dû participer à un séminaire sur plusieurs jours pour apprendre à reconnaître leur «privilège blanc» et apprendre à le déconstruire en se livrant au rituel de l’autocritique raciale. Au cœur du complexe militaro-industriel, le wokisme triomphe. Plus largement, dans une entreprise, un salarié refusant de participer à un tel séminaire s’autodésigne comme un suspect. La réingénierie sociale culmine dans une logique de purge.
La ségrégation positive
L’obsession raciale conduit à la ségrégation raciale. Et comme «l’antiracisme» d’hier a inventé la discrimination positive, celui d’aujourd’hui engendre ce qu’on appellera la ségrégation positive. Ainsi, la mairesse démocrate noire de Chicago, Lori Lightfoot, pour marquer le deuxième anniversaire de son élection, a décidé de réserver ses entrevues personnalisées aux journalistes «racisés» – autrement dit, de ne pas en accorder aux Blancs. Au nom de la justice raciale elle revendiquait explicitement une nécessaire discrimination raciale contre les Blancs. On n’en sera pas surpris: Ibram X. Kendi, l’intellectuel de référence du racialisme, explique que la discrimination raciale n’est en rien condamnable, pour peu qu’elle produise de l’égalité raciale.
Cette nouvelle idéologie américaine s’impose partout en Occident en traitant les pays qui y résistent en provinces rebelles à mater. L’expérience américaine, fondamentalement révolutionnaire, cherche à s’exporter, comme si elle entendait se poser comme norme à suivre pour toutes les sociétés, et plus encore pour celles prétendant suivre les évolutions de la modernité. Nos sociétés sont invitées à s’abolir pour renaître à elles-mêmes, purgées du mal par une nouvelle inquisition se réclamant de l’antiracisme révolutionnaire. L’individu habité par une névrose raciale et se convertissant à une identité de genre indéterminée est le nouveau visage du rêve américain.
À l’échelle de l’histoire, et même s’il faut garder à l’esprit que toute comparaison a ses limites, on y verra un transfert du flambeau révolutionnaire, de l’URSS aux États-Unis, comme si avec la fin de la guerre froide, le fondamentalisme de la modernité avait renoué avec la première société qui a voulu se définir intégralement dans ses catégories. On se forme dans les universités américaines à la manière d’un détour dans le centre idéologique de l’empire et grâce aux programmes du Département d’État, on va faire un stage en diversité sur les deux côtes américaines comme on allait hier en pèlerinage dans les pays du socialisme réel. Comme Gide jadis, un grand écrivain s’y rendant pourrait bien en revenir, ensuite, en ramenant dans sa besace un ouvrage qu’il intitulerait Retour des USA, en comprenant que ce modèle conduit notre civilisation vers l’abîme pendant qu’un homme aux airs de bon grand-père croit lui apporter la paix pour notre temps. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Wouah !!
Un texte de haute volée comme de coutume.
Merci Monsieur Bock-Côté !!!
C’est « de haute volée », certes, quant au style et à l’analyse, mais sur le fond c’est glaçant comme « l’Archipel du goulag ». Glaçant et sans espoir car cela nous vient précisément de cette Amérique qui fut longtemps l’antithèse de la dictature soviétique. C’est aussi pour nous, français, un cruel retour des choses ; nos révolutions, heureusement contenues, malgré leur dégâts, tant par la venue de Bonaparte pour la première, que plus tard, en1830, 1848 et 1891, ont trouvé leur voie grâce aux sorbonnards de l’après-guerre, les reconstructeurs renommés outre Atlantique « french studies ».
C’est notre honte et celle- là ne sera pas dénoncée par notre président, bien au contraire, il lui érigerait plutôt un monument. Pensez-donc, déconstruire, quel bonheur pour celui qui flingue à tout va.
La seule repentance que nous puissions jamais avoir serait celle d’avoir fait 1989, qui fit 1917 qui fait aujourd’hui la nouvelle révolution américaine ici décrite.
A fronts renversés c’est Poutine qui s’oppose aujourd’hui à cette autodestruction, ancien de la nomenclature il en connaît toutes les ficelles, tous les dangers et tout ce que le régime soviétique a engendré de malheurs. Ceux qui souffrirent dans les ex satellites de l’Empire et sont aujourd’hui au ban de l’Europe de Soros sont les mieux placés pour lutter contre ce nouveau fléau et ouvrir des yeux « grand fermés », mais on va leur coudre les lèvres.
Si M.Macron connaissait tant soit peu son histoire il saurait que la Renaissance a aussi apporté les guerres de religions et qu’elle n’était qu’artistique et littéraire. Hélas à « la Providence », son collège, qui fut aussi celui du général Leclerc, notre héros picard, il n’y a plus depuis longtemps aucun père jésuite pour enseigner l’histoire.
Où sont les collèges où l’on a lu son Bainville?
Merci Michelle Damiens de vos précisions que je partage en grande partie ( 1789 ,vouliez dire, et non 1989, je suppose ) .
Un point à discuter : non, l’Amérique ne fut jamais l’antithèse de l’impérium soviétique, même si elle a pu nous protéger pour ses intérêts, mais son rival. Comme le précise Pierre Boutang dans une politique de mai 1959 : « toute idée d’empire suppose un ordre, et nécessite d’être soutenue par une piété et une loi comme le montrait le livre de Haecker ». Or ajoute -t-il « la société américaine fuyant l’Europe corrompue, était-elle capable comprendre celle des Indiens ou seulement de les américaniser ».Après les avoir souvent éradiqués
Le racialisme fou que nous constatons aujourd’hui n’est-il pas aussi issu de cette pureté fantasmée puritaine, si bien décrite par N. Hawthorne dans son roman la lettre écarlate ? Cette lettre d’infamie posée alors sur la femme adultère » n’est pas elle posée aujourd’hui sur les professeurs déviants dans les université américaines .
Le régime soviétique fut certes criminel mais l’américanisation du monde sur un fond puritain mâtiné de racialisme fou ne remplace-t- il pas » la médiation par les hommes par » la médiation de choses , c’est-à-dire des biens d’équipement » ( ordis et tablettes) et de l’argent. » . Si folle soit l’idéologie communiste, elle n’a pas détruit le substrat de la Russie orthodoxe, le déferlement actuel du mondialisme, le refuge dans sa bulle consumériste, jalousant l’autre, n’est -il le refoulement de toute vraie mystique, « pour se tenir prêt vers l’autre » avec une foi et piété qui nous vient bien de Virgile.